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Un mot peut modifier son sens à la suite du changement que subit la notion rendue par ce mot. Cette opinion a été exprimée à plusieurs repri­ses. « Monter dans sa voiture, remarque H. Mitterand, ce n'est plus s'as­seoir sur le siège de son cabriolet et saisir les rênes du cheval, mais s'installer au volant et se préparer à appuyer sur le démarreur. » [12, p. 87]. Au XIXe siècle la lampe était « un récipient renfermant un liquide (huile, pétrole, etc.) susceptible de donner de la lumière en brûlant ». Aujourd'hui ce ne sont plus les lampes à pétrole, mais les lampes électri­ques, à néon ou à vapeur de mercure qui nous éclairent et un fer à repasser est de nos jours le plus souvent en matière plastique à base de nickel. Dans tous ces cas c'est la notion exprimée qui se transforme, tandis que le mot ne change pas. Généralement les modifications sémantiques de ce genre se font imperceptiblement, et les locuteurs n'en prennent conscience qu'après coup.

Très souvent l'évolution sémantique d'un mot est le résultat de la dénomination d'un objet (ou d'un phénomène) nouveau au moyen d'un vocable désignant un autre objet auquel cet objet nouveau s'associe par quelque rapport. C'est ainsi que le mot cellule dont le premier sens est « une petite chambre dans un monastère » est arrivé à désigner « les alvéoles de cire dans lesquelles les abeilles déposent leur miel », et, plus récemment, ce mot rend aussi les notions scientifiques : cellule végéta­le, cellule sanguine, cellule photo-électrique. Il en est de même pour les mots homme, tête, bras, bec, maigre, méchant, ruminer, broncher et une quantité d'autres.

Le procès sémantique peut aboutir à un changement total ou à une modification partielle du contenu sémantique d'un mot. Le contenu sé­mantique change complètement lorsque ce mot acquiert un sens nouveau qui élimine son sens primitif. Nous sommes alors en présence du c h an -gement sémantique total d'un mot. Ainsi le verbe étonner et ses dérivés signifiaient autrefois « frapper d'une vive émotion, ébranler com­me par un coup de tonnerre », par exemple : On le vit étonner de ses regards étincelants ceux qui échappaient à ses coups (Bo s s u e t).

Plus tard ce verbe a pris le sens de « surprendre, frapper l'imagina­tion » qui seul a survécu ; aujourd'hui le verbe étonner ne fait plus partie de la famille des mots tonner, tonnerre. Le sens ancien de l'adjectif sou/ était « rassasié » ; par la suite ce mot a été appliqué exclusivement aux gens « grisés par le vin » (« rassasié de vin ») : ainsi, le mot soûl est devenu le synonyme de ivre et il a même remplacé ce dernier dans l'usa­ge familier. Ramage était au Moyen Âge un adjectif signifiant « qui a beaucoup de branches, de rameaux », puis « qui vit dans les branches » ; ce mot a qualifié en particulier le chant des oiseaux dans les arbres (on disait chant ramage) : enfin ramage est devenu un substantif qui désigne le chant des oiseaux, même s'ils ne sont pas dans les arbres. Candeur ne signifie plus « une blancheur éclatante ». « mais la pureté morale ». On ne dira plus pour une haute montagne qu'elle est hautaine ou pour un chemin raboteux qu'il est scabreux. Les verbes navrer et offenser ne s'ap­pliquent plus aux blessures corporelles, mais seulement aux blessures morales. Gibier n'a plus le sens « de chasse ». Gâter ne signifie plus « ravager, dévaster ».

Le procès sémantique a parfois pour conséquence un changement partiel du contenu du mot. Ici des cas différents se présentent. Le plus souvent on assiste à l'enrichissement du système de significations d'un mot lorsque ce dernier acquiert un sens nouveau qui s'ajoute aux anciens. Nous sommes alors en présence du développement sémantique de ce mot. Ces cas sont très nombreux. Nous allons nous borner à un exemple. Le substantif esprit du latin spiritus avait le sens de « souffle » qu'il a transmis à l'ancien français ; au Moyen Âge il acquert l'acception chrétienne « souffle vital, âme » qui lui vient de la Bible : employé com­me terme d'alchimie il reçoit les sens de « essence » et « spiritueux » : le principe d'« immatérialité ». étant à la base de son évolution sémantique ultérieure, esprit a pu donner le sens de « intellect » : ce dernier en est venu à suggérer celui de « être pensant, personne douée d'intelligence ».

Cet exemple prouve que l'évolution sémantique peut suivre un che­min sinueux et imprévisible

Le changement sémantique est aussi partiel lorsque les modifica­tions portent uniquement sur le signalement du mot : ses caractéristiques stylistiques ou ses particularités d'emploi. Ainsi on peut constater un chan­gement sémantique partiel pour envisager et dégringoler qui dans envi­sager une question, dégringoler l'escalier sont passés du style familier dans le style neutre.

Encore récemment les dictionnaires condamnaient l'emploi du subs­tantif but avec les verbes poursuivre et remplir. Aujourd'hui les expres­sions poursuivre un but, remplir un but y ont reçu droit de cité. Il en est de même de l'expression éviter qch à qn qui encore au début du XXe siècle était déconseillée. Toutefois nous trouvons déjà chez A. France « // avait évité à sa vieille mère les fatigues d'une longue station ». Les ver­bes signalés n'ont subi qu'une modification sémantique partielle puis-. qu'ils n'ont fait que réaliser dans un nouveau contexte un sens qu'ils possédaient déjà (cf. : poursuivre un idéal, remplir une fonction, éviter un ennui).

L'évolution sémantique peut enfin aboutira l'apparition d'homony­mes dits sémantiques et qui sont des mots remontant à la même origine et, par conséquent, caractérisés par la même forme, mais dont le contenu sé­mantique est totalement séparé1. Tel est le cas de grève « cessation de travail par les ouvriers coalisés » qui est aujourd'hui un homonyme de grève « plage sablonneuse ou caillouteuse ». Il en est de même pour tirer « envoyer au loin (une arme de trait, un projectile) au moyen d'une arme » qui ne se rattache plus à tirer « amener à soi ou après soi ». Table -« meuble posé sur un ou plusieurs pieds » est un homonyme de table -« liste d'un ensemble d'informations » (table de multiplication, table des matières). Il y a eu aussi rupture sémantique entre réfléchir « penser, mé­diter » et réfléchir « renvoyer dans une direction opposée », par exemple : réfléchir un rayon, une onde.

L'évolution sémantique des mots est une des principales voies de l'en­richissement du vocabulaire1. D'où le grand rôle de la sémantique, l'im­portance des études visant à révéler les lois présidant à l'évolution du sens des mots.

§ 19. La polysémie et la monosémie des mots.Contrairement à un mot monosémique qui n'a qu'un seul sens un mot polysémique possède plusieurs sens au niveau de la langue-système à une époque déterminée.

Généralement les linguistes reconnaissent que la grande majorité des mots est polysémique, que les mots ont tendance à prendre de nouvelles acceptions.

M. Bréal affirmait que la polysémie est un des indices propres aux mots. La même idée était émise par le linguiste russe M.M. Pokrovski. Selon O. Jespersen, la langue, sans la polysémie propre au mot, serait devenue « un enfer linguistique », aucune mémoire n'aurait suffi pour retenir cette quantité de vocables à sens unique. En effet, le mot s'avère assez souple pour être utilisé à plusieurs fins communicatives à la fois, grâce à ses acceptions variées qui toutefois ne portent pas atteinte à son intégrité.

Il n'y a guère de limite tranchée entre les sens d'un même mot ; au contraire, ils se rattachent par des liens sémantiques plus ou moins appa-rents, toujours présents. Tant que les sens, aussi distincts soient-ils, s'unis­sent par des attaches sémantiques, nous sommes en présence d'un même vocable polysémique. Sitôt que les liens sémantiques qui unissaient les significations d'un vocable se rompent, nous assistons à l'homonymie qui est la limite sémantique d'un mot.

À la suite de son évolution historique le mot développe son système de sens, il s'enrichit d'acceptions nouvelles. La polysémie est précisé­ment la faculté du mot d'avoir simultanément plusieurs sens à une épo­que donnée. Le mot peut donc généraliser dans des directions différentes. La faculté du mot d'exprimer simultanément des sens différents pourrait être illustrée par les substantifs drapeau, toilette et perle. Le substantif drapeau, diminutif de drap 1) désignait d'abord un morceau de drap ; 2) ce morceau fixé à une hampe est devenu un signe de ralliement pour les soldats, d'où les expressions : le drapeau du régiment, être sous les drapeaux : 3) plus tard, ce mot a signifié l'emblème d'une nation ; 4) et enfin il a commencé à s'employer dans le sens de « patrie » : défendre le drapeau - « défendre sa patrie ». Toilette 1) n'offrait autrefois à l'idée qu'une petite toile, une petite serviette de toile on retrouve encore ce sens primitif dans « la toilette » des tailleurs, morceau de toile qui sert à enve­lopper leur ouvrage : 2) ce même mot a désigné une petite table garnie de cette serviette et tout ce qui sert à la parure ; 3) ensuite il a pris le sens de « parure, habillement » ; 4) et, enfin, il a servi à exprimer l'action de se nettoyer, de se vêtir. Le mot perle a désigné 1) tout d'abord un corps rond et nacré qui se forme dans certains coquillages ; 2) puis, par analogie, une petite boule de verre, de jais, d'or... percée d'un trou et qui sert d'orne­ment : pris au figuré il nomme : 3) des gouttes de rosée et 4) une personne ou chose sans défaut.

Cette plasticité du mot qui repose sur son caractère asymétrique est un bienfait pour la langue. 11 n'y a guère de cloisons étanches entre les significations d'un même mot ; au contraire, elles se rattachent par des < liens sémantiques plus ou moins apparents, toujours présents.

Les liens sémantiques que les significations d'un même mot entre-j tiennent sont d'ordre dérivationnel (épidigmatiques).

Les significations d'un mot polysémique doivent nécessairement receler des traits (des sèmes) communs. Ces traits communs peuvent ratta­cher plusieurs significations à l'une d'entre elles (il y a alors comme une sorte de rayonnement des significations d'un seul point ce qui peut êtr représenté par le schéma) :

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ou rattacher les significations consécutivement, alors on pourrait par­ler d'enchaînement, le schéma en sera le suivant :

Souvent ces deux types de rapports sont combinés, ce phénomène pourrait être qualifié de ramification et visualisé par le schéma :

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II est à noter que la polysémie est un des traits caractéristiques du vocabulaire français1 [13, p. 76].

Quoique les mots soient généralement polysémiques, les gens n'éprou­vent aucune difficulté à se comprendre. Cette facilité de la compréhension est due à la monosémie des mots dans la parole. Donc, le mot est polysémi­que et monosémique à la fois. Il est généralement polysémique comme unité de la langue-système et nécessairement monosémique comme unité de la parole. La polysémie et la monosémie du mot forment une unité dialectique. La monosémie du mot peut être créée par le contexte verbal. Citons quelques exemples :

Tout salon, qui n 'est point rempli de fossiles et d'âmes pétrifiées, présente, comme deux couches de terrains, deux couches de conversa­tions superposées l'une à l'autre... (Ro 11 a n d).

Il est évident que dans ce fragment le moifossile est employé dans le Jsens de « personne à idées arriérées » et non pas au sens propre de « débris ; plantes ou d'animaux trouvés dans les terrains anciens » :

« ...je compris enfin que la France était faite de mille visages, qu 'il y pz avait de beaux et de laids, de nobles et de hideux, et que je devais hoisir celui qui me paraissait le plus ressemblant ». (Ga r y).

Il apparaît nettement que le mot visage rend ici le sens abstrait de t aspect ».

Le contexte, compris au sens le plus large 'de ce terme, n'est pas seulement l'environnement, l'entourage des mots qui précise le sens d'un vocable donné (contexte verbal), mais aussi l'ambiance extra-linguisti­que qui le situe (contexte de situation). Le contexte de situation permet des ellipses dans le contexte verbal

La polysémie des mots étant un des traits caractéristiques du fran­çais, le contexte y prend une importance particulière comme actualisateur sémantique

II y a parfois tendance à exagérer le rôle du contexte auquel on attri­bue à tort la faculté de conférer à lui seul du sens à un mot. Aussi grande soit-elle, l'importance du contexte n'est point absolue. On peut dire avec S. Ullmann que « le mot est avant tout une unité sémantique [14. p 94] Pris artificiellement à l'état isolé le mot apparaît dans son système sé­mantique complexe où domine généralement un des sens perçu comme étant le sens central. Le contexte permet de réaliser selon les besoins de communication l'un ou l'autre sens d'un mot polysémique

La monosémie du mot peut être aussi créée par le milieu (local, his­torique et social). En effet, le sens du mot dépend de la région, de la province où ce mot est employé. Ainsi dans le Poitou quitter s'emploie pour « laisser ». Le mot masure est employé dans le œuvres de G Flaubert dans l'acception normande de « basse-cour ». Dans la région de Saint-Etienne pour rendre l'idée d'« allumer le feu » on dit éclairer le phare

Le sens des mots dépend parfois de l'époque historique à laquelle ces mots sont employés. Le mot galère désignait au XVIP siècle « un navire de guerre ou de commerce allant à la voile et à la rame » ; il avait aussi le sens de « peine infligée aux criminels qu'on envoyait ramer sur les galères » ; l'expression envoyer aux galères signifiait donc « une peine grave » ; plus tard les rames sur les vaisseaux ont disparu, les criminels ont été envoyés dans des bagnes, pourtant la locution envoyer aup} galères est restée dans la langue, tandis que le galérien est devenu « un] forçat qui subit sa peine dans un bagne »

Au XVIIe siècle révolution (du latin revolutio. dérivé de revolvere « retourner ») était employé en qualité de terme astronomique et signifiai^ « mouvement d'un corps céleste sur son orbite » ; au XVIIIe siècle ce mot avait déjàun sens politique mais s'employait comme synonyme de « d'État », et seulement au XIXe siècle il a été appliqué aux changement profonds dans la société.

Le verbe amuser qui de nos jours veut dire « distraire, divertir » avaï| au XVIIe siècle le sens d'« occuper en faisant perdre le temps » :

Amusez-le du moins à débattre avec vous, Faites-lui perdre temps.. (Molière).

En lisant les œuvres de Rabelais, Montaigne, Corneille, Racine, Pas­cal, Boileau, Molière on trouve à tout moment des mots dont les accep­tions sont tombées depuis en désuétude. Dans cette phrase de Montaigne :

Cela les rend ineptes à la conversation civile

le mot inepte est employé dans le sens de « qui n'est pas apte ».

Encore au XVIIe siècle le sens de imbécile était celui de « faible ». Les paroles de B. Pascal : « Homme, imbécile ver de terre » ne prêtaient pas à confusion. Au siècle suivant le sens du mot avait évolué.'Ce fait est confir­mé par la fameuse anecdote qui raconte que Voltaire n'ayant pas compris la phrase de Corneille :

Le sang a peu de droit dans le sexe imbécile

où le sexe imbécile est employé pour « le beau sexe » (littéralement - le sexe faible »), s'est exclamé : « C'est une injure très déplacée et très gros­sière, fort mal exprimée ».

Le mot peut acquérir un sens particulier selon le milieu social et pro­fessionnel où il a cours.

Le mot opération prend une valeur différente dans la bouche d'un médecin, d'un militaire ou d'un financier. Le mot veine prononcé par un docteur sera appliqué à l'homme dans le sens de «вена, жила», ce même mot prononcé par un mineur prendra le sens de «рудная жила».

Contrairement aux mots à plusieurs sens qui constituent la majorité du lexique, les mots à sens unique de la langue courante sont relativement peu nombreux. Parmi ces mots il y a ceux du genre de bouleau, platane, frêne, canari, chardonneret, pinson ; chaumière, villa, cottage, yourte, etc. Ce sont généralement des mots désignant des objets ou phénomènes faisant partie de quelque classe plus ou moins restreinte formant variété par rapport à l'espèce ou espèce par rapport au genre. Pourtant ces mots peuvent aussi à tout moment acquérir des acceptions nouvelles.

Des cas nombreux se présentent où les mots de ce type ont plus d'un is ; tels sont pin, sapin, tilleul qui désignent l'arbre et le bois fourni par : arbre ; pigeon, merle, pie qui étant des dénominations d'oiseaux ser­gent aussi à caractériser l'homme. On dira être unpigeon dans une affaire 3ur « un homme qui se laisse rouler », un vilain, un beau merle pour « un ih'Tain personnage », une petite pie pour « une personne niaise » et une pie pour « une femme très bavarde ».

Une place à part revient aux termes. Les termes sont des mots ou eùrs équivalents d'un emploi relativement restreint et exprimant des con-spts scientifiques ou spéciaux. Les termes dans le cadre d'une terminologie devraient être monosémiques. C'est une des conditions du bon fonctionnement des termes dans la langue. Un terme à plusieurs sens est un moyen imparfait de communication.

Le terme doit non seulement avoir un seul sens, mais dans chaque terminologie spéciale un concept ne doit être rendu dans l'idéal que par un seul terme. Les termes synonymes n'ont aucune raison d'être, ils sont plu­tôt un inconvénient, et il y a tendance, parmi les initiés, à les différencier. À titre d'exemple citons les termes sens et signification qui sont employés indifféremment dans la langue courante, mais nettement séparés dans l'ouvrage de P. Guiraud traitant de la sémantique : signification est com­pris comme le procès sémantique, tandis que sens a une valeur statique [15, p. 9]'.

Une autre condition importante du juste fonctionnement des termes est l'absence de toute nuance affective. En effet, les termes manifestent la ten­dance de présenter les phénomènes de la réalité du point de vue rationnel. Les termes ne servent pas à exprimer les émotions. Pourtant les termes, faisant partie du vocabulaire d'une langue, subissent l'effet des mêmes lois qui régissent le vocabulaire en entier. C'est pourquoi les termes, tout comme les autres mots d'un emploi courant, parviennent parfois à exprimer plu­sieurs sens. Il arrive qu'il ne suffise pas de tous les efforts réunis des linguis­tes et des spécialistes de l'une ou l'autre branche de l'activité humaine pour empêcher un terme de s'approprier une acception nouvelle.

§ 20. Le sens et l'emploi sémantique d'un vocable.Il y a une diffé­rence de principe entre le sens et l'emploi sémantique d'un mot. Pour un mot polysémique il y aura autant de sens que de notions distinctes. Ainsi» dans chapeau on dégage les sens de « coiffure d'homme ou de femme », « partie supérieure d'un champignon», « partie supérieure ou terminale de certaines pièces mécaniques » ; par contre, dans recevoir le chapeau qui se dit d'un évêque promu à la dignité de cardinal, chapeau rendra toujours la notion de « coiffure » et nous serons en présence d'un de ses emplois sé­mantiques.

La distinction entre les sens et les emplois sémantiques n'est pas toujours aisée, elle devient un véritable problème pour les mots à valeur abstraite où les limites entre les notions sont estompées. D'où les diver­gences d'un dictionnaire à l'autre dans la présentation des sens de mots tels que faire, prendre, mettre, aller, etc. La difficulté augmente lors­qu'on confronte les structures sémantiques des mots respectifs dans les langues différentes. La traduction d'un mot d'une langue par des mots distincts dans une autre langue donne l'illusion d'avoir affaire à plu­sieurs sens. En réalité il n'en est rien. Pour le verbe accomplir nous aurons le même sens dans « accomplir un stage de perfectionnement », « accom­plir un record » ou « accomplir un devoir », quoiqu'à ces emplois corres­pondent des mots russes différents : «пройти переподготовку». «установить рекорд», «выполнить задание» [16, c. 82].

Les sens des mots appartiennent au système de la langue, alors que les emplois sémantiques en sont les réalisations directes (accomplir un de­voir) ou imagées (recevoir le chapeau) dans la parole.

Aux emplois sémantiques normatifs s'opposent les emplois sémanti­ques individuels. Dans l'exemple :

« Cet homme filait l'iniquité comme l'araignée sa toile. » (Fr an c e)

l'auteur place le verbe filer dans un contexte individuel. Il en est de même pour tamiser dans :

«...elles surent d'un tacite accord s'effacer, parler moins, tamiser leur pensée. » (Ro 11 an d)

Dans faire vibrer, toucher la corde sensible le sens de corde employé au figuré (ce qui est sensible en nous) appartient à la langue, alors que le même mot dans la citation ci-dessous est utilisé dans une acception indivi­duelle :

« ...ô merveilleuse indépendance des regards humains, retenus au visage par une corde si lâche, si longue, si extensible qu 'ils peuvent se promener seuls loin de lui ». (M. Proust)

Les emplois individuels n'affectent pas la structure sémantique des mots. N'étant pas admis par les sujets parlants, par la société en entier, ils n'appartiennent pas à la norme linguistique, mais restent confinés dans la parole individuelle. Comme tels les emplois individuels n'intéressent pas la lexicologie : étant des moyens expressifs ils ressortissent àla stylistique. Cependant les emplois occasionnels peuvent exercer une influence sur le développement sémantique des mots ; à condition de recevoir un usage courant. ils peuvent passer au niveau de la norme et par la suite devenir des significations nouvelles. C'est grâce à ses emplois métaphoriques individuels que le verbe accrocher a. d'un côté, élargi ses emplois normatifs (accrocher une voiture) et a reçu le sens abstrait « importuner vivement ».(s 'accrocher à quelqu 'un), de l'autre.

§ 21. Les différents types de sens. Les sens des mots se laissent classer d'après quelques types essentiels.

Tout mot polysémique possède un sens propre et des sens dérivés. Examinons en guise d'exemple le mot bouche < lat. pop. bue-ça ; les significations les plus importantes de ce mot sont : 1) cavité si­tuée au bas du visage et qui sert à parler, à manger ; 2) ouverture (d'un four, d'un canon, du métro) : 3) pi. embouchure (d'un fleuve). Les deux derniers sens peuvent être historiquement ramenés au premier signalé ; ils doivent être considérés comme en étant dérivés. 11 en va autrement pour le premier sens qui n'aboutit à aucun autre : ce premier sens sera le sens propre du mot bouche. Pourtant le sens propre d'un mot dans la langue moderne n'est point son sens primitif. Le sens propre est une caté­gorie historique. Il peut se déplacer au cours de l'évolution du mot. Tel est précisément le cas du mot bouche qui désignait originairement, dans le latin populaire. « la joue » : c'était alors le sens propre du mot. La disparition du sens originaire de « bouche » a été suivi du déplacement de son sens propre. Donc, le sens propre 'd'un mot est celui lqui ne se laisse historiquement ramener à aucun de ses sens actuels, alors que 1 e s sens dérivés remontent directement ou indirectement au sens propre. Le sens propre et les sens dérivés d'un mot ne peuvent être dégagés qu'à la suite d'une analyse diachronique.

Dans la synchronie on distingue 1 e sens principal et les sens secondai re s d'un mot polysémique. Le sens principal, étant le plus usité à une époque donnée, constitue la base essentielle du développement sémantique ultérieur du mot. Il peut coïncider tantôt avec son sens] propre, tantôt avec le dérivé. Le sens propre du mot soleil - « astref lumineux au centre des orbites de la Terre et des planètes » en est aussi! le sens principal ; les autres sens de ce mot. tels que « pièce d'artifice^quil jette des feux en forme de rayons » ou « fleur jaune, appelée autreweaf tournesol ». sont à la fois des sens dérivés et secondaires. Il en est aotr ment pour le mot révolution dont le sens principal, en tant que t politique, coïncide avec un de ses sens dérivés (le sens propre étant « mou| vement d'un corps parcourant une courbe fermée »). Le sens principe du mot. tout comme son sens propre, est une catégorie historique. Jus qu'au XVIe siècle le sens propre du substantif travail - « tourment, cha grin. peine » était également son sens principal. Plus tard il s'est déplac et a coïncidé avec le sens dérivé - « besogne, ouvrage ». Puisque le plv employé, le sens principal dépend moins du contexte que les sens secoij daires.

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