Les groupements lexicaux 14 страница

Les locutions soudées comportent souvent des mots, tombés en dé­suétude. Tels sont assiette - « manière d'être assis ». dans l'expression n 'être pas dans son assiette : leu - « loup », dans à la queue leu leu ou bien maille et partir dans avoir maille à partir avec qn où maille désignait sous les Capétiens la plus petite des monnaies et partir signifiait « partager » ; nommons encore prou, mot de la vieille langue qui signifie « beaucoup ». et qui s'est conservé dans l'expression ni peu ni prou - « ni peu ni beaucoup, en aucune façon ». On rencontre aussi des mots à sens archaïque, oublié depuis longtemps. Ainsi le mot étoffe avait encore au XVIe siècle un sens très étendu, désignant toute matière composante ; on disait qu'une maison était faite de bonne étoffe ou qu'un vase était d` une étoffe précieuse, etc. ; ce mot avait aussi un sens plus abstrait dans l'ex­pression avoir de l'étoffe qui signifie de nos jours « avoir de hautes capa­cités ».

Certaines locutions soudées contiennent des archaïsmes grammati­caux. Signalons l'absence de l'article devant le substantif dans n'avoir maille à partir, l'absence de la préposition dans à la queue leu leu.

Beaucoup de locutions soudées ne renferment point d'archaïsmes d`aucune sorte et cependant on ne réussit pas a taire dériver leuf accep­tion actuelle du sens des mots-composants. Cela tient spuvent à ce que l'expression présentait autrefois une image qui s'est effacée par la suite. C'est ainsi que poser un lapin à qn signifie « manquer au rendez-vous qu'on a donné et causer ainsi une déception » par analogie à la surprise que cause aux spectateurs le prestidigitateur quand il pose, sans qu'on voit comment, un lapin sur la table : l`image du prestidigitateur qui pose son lapin s'est oubliée avec le temps et la locution a acquis dans la bou­che du peuple une nuance défavorable. Il en est de même pour l'expres­sion prendre la mouche qui a le sens de « se piquer, s'emporter brusquement et mal à propos » ; cette expression s'appliquait d'abord aux animaux, aux chevaux et aux bœufs qui trépignent, s'agitent et s'irri­tent lorsqu'une mouche les pique. En employant la locution battre son plein, qui à l'origine est un terme de marine, on n'évoque plus l'image de la marée qui, ayant atteint son maximum, sa plénitude, demeure quelque temps stationnaire.

À l'origine des soudures il peut y avoir quelque usage ancien, dispa­ru. Telle est l'expression rompre la paille avec qn qui veut dire « se brouiller avec qn » par allusion à un usage antique qui consistait à rompre la paille et à la jeter : pour signaler qu'on renonçait à toute relation avec la personne dont on voulait se séparer.

Certaines soudures ont à leur base quelque fait historique ou un épi­sode littéraire oublié. Tel est le cas de la locution mettre au violon dont le sens est « mettre dans une prison ». Selon le témoignage d'Amédée de Bast « la prison du baillage du Palais (de Justice) servait spécialement à enfermer les pages, les valets, etc., qui troublaient trop souvent, par leurs cris et leurs jeux, les audiences du parlement. Dans cette prison il y avait un violon destiné à charmer les loisirs forcés des pages et des laquais qu'on y renfermait pendant quelques heures. Ce violon devait être fourni, par stipulation de bail, par le luthier des galeries du Palais. C'est de cet usage, qui remonte au temps de Louis XI. qu'on a appelé violons les prisons temporaires, annexées à chaque corps de la ville ». Le sens de l'expression être le dindon de la farce qui correspond à « être finalement dupe » remonte à une de ces nombreuses farces du Moyen Âge où les pères trop crédules que leurs fils peu respectueux trompaient et bafouaient, avaient reçu le surnom plaisant de pères dindons par allusion à ces oiseaux dont la sottise était reconnue de tout temps. ,

Parfois c'est un préjuge causé par l'ignorance ou par une fausse croyance qui est à l'origine d'une locution soudée. C'est ainsi que courir comme un dératé voulant dire « courir extrêmement vite » provient; de la croyance remontant aux anciens Grecs et Romains qu'un coureur dont la rate est réduite et ne gonfle pas peut donner son maximum de vitesse.,On explique de façon suivante le sens de l'expression tirer le diable par la queue - « en être réduit aux derniers expédients » : l'homme arrivé au bout de ses ressources finit par recourir à l'assistance du diable ; mais celui-ci refuse tout secours au malheureux qui l'implore, et lui tourne le dos afin d'aiguiser son désir et l'induire davantage en tentation ; exaspé­ré, l'autre le tire par la queue.

Les soudures subissent parfois l'action de la fausse étymologie. ce qui tient à une tendance psychologique à prendre conscience du sens caché d'un vocable, à se rendre compte et s'expliquer sa structure matérielle, son enveloppe sonore. Nous avons déjà signalé que la locution au diable Vauvert devient dans le langage populaire au diable ouvert ou toutt simplement au diable vert, le mot Vauvert étant dépourvu de sens dans le français d'aujourd'hui., La vieille expression tomber dans les pâmes -« se pâmer, tomber en pâmoison », a été changée en tomber dans les pommes qui appartient à présent au style familier.

Les soudures qui sont des locutions figées par excellence autant par leur sens que par leur structure ne souffrent pas la substitution de quelque vocable à leurs éléments composants. Il n'est pas possible de remplacer à son gré un des composants d'une locution soudée par un autre mot. un synonyme. Dans n 'avoir pas froid aux yeux, qui signifie « avoir de l'audace ». yeux ne peut être remplacé par mirettes. L'expression monter sur ses grands chevaux qui a le sens de « se mettre en colère, partir en guerre contre qn » ne pourrait être changée en monter sur ses énormes chevaux.

Rares sont les cas où les éléments composant un groupement soudé se trouvent en position distante. Plus rarement encore les locutions soudées subissent quelque modification. Citons cependant :

Il faut que la queue du diable lui soit sondée, chevillée et vissée à l'échiné d'une façon bien triomphante pour qu 'elle résiste à l'in­nombrable multitude de gens qui la tirent perpétuellement. (Hugo)

Et encore :

Il nous met trop sous la coupole de l'Allemagne. (Pro u st).

où en plus de l'insertion de trop dans l'expression d'origine il y a la transformation de coupe en coupole (cf. : être, mettre sous la coupe de -« être sous la dépendance de »).

Par leur structure lexicale certaines locutions soudées correspondent à des agencements libres ; (cf. : il a de l'étoffé, ce jeune homme et j'ai une ' belle étoffe pour me faire une robe). Ces agencements de mots confrontés sont essentiellement distincts dans le français moderne et se trouvent en rapports d'homonymie.

La plupart des soudures ont dans la langue une valeur expressive, émotionnelle. Elles sont largement utilisées comme moyen stylistique dans les œuvres littéraires.,Cependant l'effacement de l'image primitive des locutions soudées entraîne parfois la perte de la valeur expressive qui leur était propre autrefois. Tels sont bouc émissaire, à la queue leu leu qui paraissent être dans le français moderne des dénominations directes dépourvues de toute expressivité. D'autres locutions, qui avec le temps se sont soudées à la suite de l'effacement du sens primitif de leurs com­posants, n'avaient jamais eu de valeur expressive ; il en est ainsi pour faire grand cas de qch, avoir raison de qn, qch, etc.

À l'encontre des soudures le sens général et réel des ensembles phraséologiques se laisse plus ou moins révéler à travers le sens de leurs mots-composants. Telles sont les expressions : passer l'éponge qui signifie « oublier, pardonner ». rire du bout des lèvres ou « rire sans en avoir envie », avoir la langue liée, c'est-à-dire « avoir un motif qui ne permet pas de dire qch ».

Les ensembles phraséologiques absorbent l'individualité des mots-composants sans toutefois les priver de sens ; au contraire, le sens global des ensembles phraséologiques découle plus ou moins nettement du sens des mots-composants sans y correspondre exactement.

La plupart des ensembles se comprennent d'eux-mêmes. Telles sont les locutions conte (récit) à dormir debout ou « qui donne une envie de dormir irrésistible » ; tirer (à quelqu 'un) une épine du pied qui signifie « délivrer d'un grand embarras » ; en mettre sa main au feu. c'est-à-dire « soutenir quelque chose par tous les moyens et avec une entière convic­tion » ; se laisser manger la laine sur le dos ou « se laisser dépouiller ou injurier sans résistance » ; laver son linge sale en famille qui veut dire « liquider en secret les scandales, les différends qui surgissent dans une famille, dans un groupe social quelconque » ; lire entre les lignes ou « deviner ce que l'auteur laisse entendre » : avoir la langue bien pendue ou « parler avec facilité » : n 'avoir ni feu ni lieu qui signifie « être extrê­mement pauvre et sans asile ».

Cependant un certain nombre d'ensembles renferment une allusion à quelque événement historique, quelque fait littéraire, mythologique ou autre qu'il est indispensable de connaître pour en comprendre le sens réel. C'est ainsi que pour comprendre le sens de la locution moutons de Panurge qui désigne ceux qui agissent par esprit d'imitation, il faut se souvenir du fameux épisode du « Pantagruel » de Rabelais où le spirituel Panurge pour se venger des injures du marchand de moutons Dindenault lui achète une de ses bêtes et la précipite dans la mer ; imitant le mouton en train de se noyer, tous les autres moutons se jettent l'un après l'autre à l'eau, tandis que Dindenault voulant retenir le dernier, est entraîné avec lui dans l'abîme.

Afin que le sens de la locution revenir (ou retourner) à ses moutons signifiant actuellement « reprendre un discours ou une conversation in­terrompue, revenir à son sujet » apparaisse nettement, il faut connaître la célèbre « Farce de Maître Pathelin » où le juge rappelle aux plaideurs la cause première de leur querelle (il s'agit de moutons) en répétant : « Sus ' revenons à nos moutons ! ». C'est précisément à la forme impérative que cette locution est surtout employée.

La locution cultiver son jardin qui signifie au figuré « mener une vie paisible et sédentaire, sans se soucier des affaires d'autrui et de ce qui se passe par ailleurs » se comprend assez facilement ; cependant son sens devient plus clair si l'on se souvient de l'œuvre de Voltaire « Candide » dont la dernière phrase en constitue la morale :

Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

La locution coiffer sainte Catherine qui signifie « rester vieille fille » ne peut être comprise qu'à condition de connaître l'antique usage de cer­tains pays catholiques (Espagne, France. Italie) qui consistait à coiffer dans les églises la statue de sainte Catherine (la patronne des vierges) : le soin de la parer étant confié àdes jeunes filles, cette mission qui est agréable à seize ans ne l'est plus à vingt-cinq quand on risque de ne plus trouver de mari.

Le sens de l'expression lever le lièvre, c'est-à-dire « faire le premier une proposition, émettre une idée que les autres n'avaient pas » devient clair si l'on tient compte de ce qu'elle tire son origine de la chasse au lièvre où lever signifie « faire sortir du terrier ».

Parmi les ensembles phraséologiques vient se classer un grand nom­bre de comparaisons imagées qui sont bien typiques de la langue françai­se. Ce sont des expressions très usitées telles que : manger comme quatre, être têtu comme un âne, marcher comme une tortue, dormir comme une marmotte, pleurer comme une fontaine, être comme un poisson dans l'eau, rester muet comme un poisson, traiter qn comme un chien, s'emporter comme une soupe au lait, se soucier de quelque chose comme de ses vieux souliers, souffler comme un bieuf, les cheveux frisent comme des chandelles, se ressembler comme deux gouttes d'eau, être sage comme une image, être habillé comme un fagot, être vieux comme les rues, trem­bler comme une feuille, être maigre comme un clou, être long comme un jour sans pain, être bon comme le pain.

Ces expressions sont généralement très concrètes et leur sens se lais­se facilement comprendre.

La comparaison que renferment ces ensembles phraséologiques for­me leur intégrité.

L'intégrité des ensembles phraséologiques peut être créée par d'autres éléments composants :

- par la présence dans la locution de mots sémantiquement apparen­tés : parler clair et net. c'est-à-dire « d'une façon intelligible », ne re­muer ni pied ni patte ou « rester complètement immobile ». tomber de fièvre en chaud mal - « tomber d'un mal dans un pire », jeter feu et flamme - « s'emporter violemment » ;

- par la présence d'antonymes : c 'est le jour et la nuit - se dit de deux choses très différentes : entre ciel et terre - « à une certaine hauteur, en l'air » ; aller du petit au grand - « commencer par de petites choses, pour arriver à de plus grandes » : passer du blanc au noir - « passer d'une extrémité à l'autre » '.faire la pluie et le beau temps - « être influent, puissant » : cela ne lui fait ni chaud ni froid - « cela lui est indifférent », discuter le pour et le contre - « discuter les deux opinions contraires » . Ces locutions sont assez nombreuses dans la langue française.

- L'intégrité de la locution est due souvent à ce que les éléments composants sont liés par un rapport réel et objectif : de fil en aiguille. c'est-à-dire « de propos en propos, d'une chose à l'autre » ; avoir bec et ongles - « être en état de se défendre » ; se donner corps et âme - « se donner entièrement, sans réserve » ; gagner des mille et des cents - « ga­gner beaucoup d'argent : ménager la chèvre et le chou - « ménager des intérêts contradictoires ».

Parfois l'intégrité de la locution est formée par un effet phonique ; par l'allitération : conter monts et merveilles - « conter des choses qui provoquent l'admiration ». n 'avoir ni bure ni buron (buron - « hutte de berger»), c'est-à-dire «n'avoir pas même le vêtement, l'habit le plus humble », n 'avoir ni vent ni voie de qn - « n'avoir aucune nouvelle ». demander qch à cor et à cri - « en insistant bruyamment pour l'obtenir ». prendre ses cliques et ses claques - « s'en aller promptement » ; par la rime : n 'avoir ni feu ni lieu - « être sans abri, sans gîte », n 'avoir ni foi ni loi - « n'avoir ni religion ni conscience ».

Les dictons et les proverbes se laissent aussi ranger parmi les ensem­bles phraséologiques : il n'y a point de sots métiers : à quelque chose malheur est bon ; la nuit porte conseil.

Les ensembles phraséologiqes signalés ci-dessus représentent des lo­cutions imagées à valeur affective. Les ensembles de ce genre sont large­ment utilisés dans des buts stylistiques comme moyens expressifs Toutefois il existe un grand nombre d'ensembles phraséologiques dé­pourvus de nuances affectives et ne contenant point d'image, tout au moins d'image pertinente : ces ensembles représentent des dénominations di­rectes d'objets et de phénomènes de la realité. Ils sont fort typiques du français moderne dont les tendances analytiques sont très prononcées. Parmi ces locutions les plus répandues sont des locutions nominales dont col blanc, col-bleu, homme d'affaires, autoroute de liaison, bande ma­gnétique, bilan de santé, emballage perdu, boîte noire, vol habité, pre­mier (deuxième, troisième) âge. Nombreuses aussi sont les locutions verbales et adverbiales qui servent à dénommer directement divers phé­nomènes ou aspects de la réalité : perdre pied, lâcher prise, être aux prises avec qn ou qch, mettre qn dans l'embarras, prendre qn au dépour­vu, chercher ses mots, enfin de compte, en bras de chemise, à part entiè­re, cousu main, (opération) à cœur ouvert.

Contrairement aux groupements soudés, les ensembles phraséologi­ques sont généralement formés conformément aux normes syntaxiques du français moderne, ils ne renferment guère de mots et de tournures vieillis, archaïques. Les ensembles phraséologiques admettent parfois la substitution d'autres mots à l'un de leurs mots-composants sans que le sens de la locution entière change. Ainsi il existe plusieurs variantes de l'expression dormir comme une marmotte ; on peut dire également dor­mir comme un loir, dormir comme une souche, dormir comme un son­neur, dormir comme un sabot. Il en est de même pour pleurer comme une fontaine dont la variante est pleurer comme une Madeleine. On dit pa­reillement être triste comme un bonnet de nuit ou être triste comme une porte de prison, avoir le cœur gros ou avoir le cœur serré, monter sur les planches ou monter sur les tréteaux.

Les ensembles phraséologiques admettent dans certains cas la trans­position de leurs mots-composants sans que le sens du tout change : on dit aussi bien un temps de chien qu'un chien de temps, entendre pous­ser l'herbe qu'entendre herbe pousser.

Les mots-composants des ensembles phraséologiques prennent plus facilement que dans les groupements soudés une position distante :

On fait de la dépense devant les autres de temps en temps, et puis, dans le secret, du ménage, on tondrait, comme on dit, sur un œuf (G. S an d)

Amrouche s'y est si bien pris que même Roger M. du Gard, qui refuse d'ordinaire, a cru devoir s'exécuter... tout en m'en­voyant sans cloute, avec Amrouche, à tous les diables (A. Gide).

Des cas se présentent lorsque l'un des mots-composants de quelque ensemble phraséologique est déterminé par un terme de la proposition ne faisant point partie de cet ensemble :

Je n 'ai pas à mettre mon petit grain de sel mais, vous voyez, je me tords de toutes les avanies qu 'elle vous prodigue (M. Proust).

De même que pour les groupements soudés la structure lexicale des ensembles phraséoloqiques peut correspondre à celle des agencements libres (cf. : tirer une épine du pied et laver son linge sale en famille au sens direct et figuré).

Les rapports sémantiques entre les ensembles phraséologiques et les agencements libres sont pareils à ceux qui s'établissent entre les accep­tions différentes d'un mot polysémique. Notons que la démarcation entre les locutions de types différents n'est pas rigide compte tenu d'un certain entrecroisement de leurs traits caractéristiques ce qui entraîne un certain subjectivisme quant à l'interprétation de ces types. Ce fait a été mentionné par P. Guiraud [35. p. 7 et les suiv.] et rendu de façon imagée par V.N. Telia1.

§ 57. Les variantes phraséologiques. Un des traits particuliers de la phraséologie française est la variabilité de ses unités. En effet, un grand nombre de locutions phraséologiques est sujet à des modifications por­tant sur leur structure formelle. Ces modifications ne sont que partielles, elles ne portent atteinte ni au sens, ni à F image qui en principe restent les mêmes.

Il faut distinguer entre les variantes et les synonymes phraséologi­ques qui parfois prêtent à confusion Avons-nous variantes ou synony­mes dans tirer profit de et tirer parti de. ou dans ne pas remuer son petit doigt et ne pas bouger son petit doigt ?

Il y a synonymie si les distinctions formelles sont accompagnées d'une modification sémantique, dans le cas contraire nous avons varian­tes. C'est pourquoi il faudrait qualifier de variantes ne pas remuer (bou­ger) du petit doigt et de synonymes tirer profil de et tirer parti de.

Quant aux modulations stylistiques elles ne détruisent pas l'intégrité des locutions phraséologiques (se mettre [se foutre] en colère).

Les variations affectent parfois la structure grammaticale des locu­tions phraséologiques : on dira également jouer des mâchoires si jouet-dé la mâchoire, écorcher une anguille (ou ! 'anguille) par la queue, met­tre dam la (sur la, en) balance.

Très souvent c'est la composition lexicale qui varie. L'envergure sémantique du composant variable est très large. Ce peuvent être aussi bien des synonymes (abandonner / quitter la partie : saper les ba:;es /les fondements de... ; jeter des perles aux cochons /aux pourceaux : face / visage de carême) que des vocables à valeur sémantique éloignée (met­tre/réduire à la besace ; couper/manger son blé en herbe : faire flèche/ feu de tout bois : parler à un sourd/à un mur, aux rochers). Toutefois le plus souvent ce sont des vocables à sens plus ou moins voisin parmi lesquels : - des dénominations d'animaux (brider son cheval / son âne par la queue ; ne pas se trouver dans le pas d'un cheval /d'un âne, d'un mulet) ; donner sa langue au(x) chat(s) /aux chiens ; un froid de loup/de canard) : - des parties du corps (avoir un chat dans la gorge /le gosier ; jeter qch à la figure /à ta face, au nez de qn ; se tordre les mains /les bras, les doigts : river une chaîne au cou / au bras, aux pieds de qn).

Parfois c'est le changement de l'ordre respectif des mots-compo­sants qui crée des variantes : mettre du noir sur blanc et mettre du blanc sur noir.

Les variantes peuvent être aussi une conséquence de la coexistence de la locution phraséologique pleine et elliptique (sortir blanc [comme neige] : manger son bien [par les deux bouts} : boire le calice [jusqu 'à la lie} ; se laisser tondre [la laine sur le dos}).

Les variantes phraséologiques sont particulièrement fréquentes par­mi les combinaisons (le fardeau [lepoids] des années : lier \nouer\ amitié avec qn ; brûler [bouillir, griller] d'impatience). les ensembles phra-séologiques (garder, observer, sauver) les décors : contes (histoires) à dormir debout) : elles sont rares parmi les locutions soudées la bailler bonne (belle) - « se moquer de ».

Le vocabulaire du français d'aujourd'hui abonde en locutions phra-séologiques. Cette richesse de la phraséologie confère à la langue françai­se un aspect expressif et imagé et minimise les affirmations de certains linguistes qui. se référant aux phénomènes de la formation des mots, in­sistent sur son caractère foncièrement abstrait.

CHAPITRE IV

LES EMPRUNTS

§ 58. Remarques préliminaires.

Outre les sources internes, telles que l'évolution sémantique et la formation des mots et de leurs équiva­lents, le français possède, comme toute autre langue, une source externe de l'enrichissement du vocabulaire - l'emprunt aux autres idiomes.

Notons que l'acception du ternie « emprunt » est étendue outre me­sure dans certains travaux de linguistique.

C'est à juste raison que dans son œuvre capitale sur l'emprunt lin­guistique L. Deroy remarque qu' « on ne peut logiquement qualifier d'em­prunts dans une langue donnée que des éléments qui y ont pénétré après la date plus ou moins précise marquant conventionnellement le début de cette langue » |36, p. 6]

Le français a réellement fait des emprunts seulement après s'être' affranchi des caractères essentiels du latin, après avoir acquis les traits fondamentaux d'une langue romane particulière. C'est pourquoi il est incorrect de considérer comme emprunts proprement dits les mots d'ori­gine celtique (par ex : bouleau, bec. tonneau, etc.) et germanique (par ex. :jardin, fauteuil, gare, etc ) introduits à l'époque de la formation du français en tant que langue indépendante

L'emprunt à proprement parler se fait à un idiome foncièrement dif­férent de la langue emprunteuse. En ce sens il est abusif de parler d'em­prunts faits par le français à l'argot ou à des terminologies diverses, car l'argot et les nombreuses terminologies sont autant de rejetons du fran­çais commun. Il est difficile pour la même raison de qualifier de vérita­bles emprunts les mots dialectaux qui ont pénétré dans le vocabulaire commun, les dialectes étant aussi des variétés de la langue française na­tionale'.

Donc, nous appellerons « emprunts » uniquement les vocables (mots et locutions) et les éléments de mots (sémantiques ou formels) pris par le français à des langues étrangères ainsi qu'aux langues des minorités na­tionales (basque, breton, flamand) habitant le territoire de la France. On emprunte non seulement des mots entiers quoique ces derniers soient les plus fréquents. Les significations, les traits morphologiques et syntaxi­ques sont aussi empruntables. C'est ainsi que l'acception récente du ver­be français réaliser « concevoir, se rendre compte » est un emprunt sémantique fait à l'anglais. Croissant (de boulanger) et lecteur (de l'Uni­versité) sont des emprunts sémantiques venus de l'allemand. Créature a pris à l'italien le sens de « protégé, favori ». (« C'est une créature du dictateur »). Sous l'influence de l'anglais contrôler et responsable ont reçu respectivement le sens de « dominer, maîtriser » (« contrôler ses passions ») et « raisonnable, sérieux » (« une attitude responsable »). Le sens de l'anglo-américain undésirable a déteint sur le français indésira­ble qui lui aussi désigne à présent une personne qu'on refuse d'accueillir dans un pays.

Наши рекомендации