Un tarascon sans tartarin.

En effectuant un voyage dans le Midi de la France, un journaliste a visité Tarascon, ville qu'Alphonse Daudet a rendue célèbre en décrivant les aventures de l'intrépide Tartarin. Voici, en abrégé, le récit de cette visite.

En approchant de Tarascon, vieille petite ville charmante, située sur le Rhône, je n'espérais certes pas pouvoir retrouver les descendants de l'intrépide Tartarin. Je n'avais pas non plus l'espoir de découvrir la maison de Tartarin. J'ai été bien ému lorsque je me suis trouvé à l'entrée de Tarascon au bord de cette même route d'Avignon où la troisième maison à gauche était bien, selon Alphonse Daudet, celle de Tartarin. C'était une jolie villa blanche, entourée d'un jardin. J'ai sonné. Une dame en rouge vient m'ouvrir.

— Madame, est-il vrai que...

La dame m'interrompt:

— Non, Monsieur, ce n'est pas vrai! Tartarin n'a jamais habité cette maison. D'ailleurs, ce personnage n'a jamais existé. Plus exactement, il n'a existé que dans l'imagination d'Alphonse Daudet. Mon Dieu, la saison touristique va-t-elle jamais finir? soupire la dame et, détruisant mes dernières espérances, ajoute: «Cette maison est là depuis cent cinquante ans. Elle nous vient du marquis de Grignon. Mais celui-ci ne pouvait pas être Tartarin, n'est-ce pas, Monsieur!»

Je n'insiste pas et avant de m'en aller, je dois entendre les nouvelles plaintes de la dame:

«Ce livre est pour nous une source d'ennuis. Chacun peut, aujourd'hui, nous montrer du doigt: «Ce sont des Tartarin». Et puis, ces foules de visiteurs fatiguent tellement. Et, pourtant, nous n'avons absolument pas l'intention de partir. La maison est si commode, et le jardin est tellement beau!

Me voilà dans la mairie, à la recherche d'informations plus exactes...

Le maire, un colonel en retraite, rit très fort en apprenant ma déconvenue.

— Vous savez, à l'époque où j'étais un jeune officier de l'armée, j'avais honte de dire que j'étais originaire de Tarascon. Je n'avais point envie de me faire traiter de Tartarin. Mais les temps changent, et les jeunes Tarasconnais de nos jours ne considèrent pas leur illustre concitoyen avec moins de gaîté que les jeunes des autres villes de France. Puis, à vrai dire, nous ne sommes pas fâchés d'avoir cette gloire. Les villes voisines sont, pour Tarascon, des concurrentes dangereuses. Vous savez, Avignon, Arles, avec leurs antiquités, leurs fêtes... Sans Tartarin, les touristes ne visiteraient jamais Tarascon.

Et comme ça nous en avons assez. Et puis, pour dire vrai, Daudet n'avait pas du tout tort: il a très bien saisi l'esprit de la Provence, le caractère de ses habitants: vantards, blagueurs, chasseurs passionnés, car les trois quarts de la population masculine de la ville ont un permis de chasse. Remarquez d'ailleurs que parmi les sociétés de chasse de la Provence, la nôtre est la plus importante ... Mais, pardon, il me semble que je me vante, termine le maire en riant.

En continuant mes recherches je monte au troisième étage aux archives. L'archiviste m'explique que Daudet n'avait rien inventé ni personne. Il s'était seulement contenté d'exagérer les traits principaux et de changer les noms.

A présent, Tartarin est un citoyen d'honneur de sa ville natale. Tarascon a une fête, célébrée chaque année le dernier dimanche de juin. Il est vrai que cette fête existait bien avant Tartarin, mais alors, elle n'était que religieuse. Ce jour-là on fêtait Sainte-Marthe qui, selon la légende, avait vaincu un monstre effrayant qui s'appelait la Tarasque et qui sortait du Rhône pour enlever les belles jeunes filles. C'est à cette légende ou, plus exactement, à ce monstre, que la ville doit son nom.

Ces dernières années, à côté d'une procession de croyants, on peut voir dans les rues, le jour de cette fête, le marchand de glaces Paul Foscot. Déguisé en Tartarin , accompagné d'une foule joyeuse, il se rend sur un terrain de football pour chasser... les casquettes, comme le faisaient les amis de Tartarin. Le déguisement de Foscot est simple. Il se contente de mettre une chéchia et un large pantalon. Tout de suite, la ressemblance avec le grand Tarasconnais devient parfaite.

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