Les groupements lexicaux 3 страница

Il est notoire que l'enveloppe sonore (ou la graphie) du mot doit néces­sairement avoir la valeur d'un signe arbitraire. C'est précisément cette pro­priété du mot qui en fait une unité asymétrique, condition nécessaire de son fonctionnement. Si la substance matérielle du mot n'était pas arbitraire, mais conditionnée par la notion (si elle était en quelque sorte le symbole d'une notion et d'un objet) les mots n'auraient pas eu cette puissance communicatrice dont ils sont pourvus en réalité, ils n'auraient jamais pu traduire des contenus sémantiques différents, condition nécessaire du développement de toute langue (cf. les onomatopées qui symbolisent la notion qu'ils expri­ment : coucou, tic-tac et qui sont généralement monosémiques).

§ 9. Les fonctions des mots.Nous avons signalé le rôle du mot en tant qu'instrument de la connaissance. Toutefois la raison d'être des mots, tout comme de la langue en entier, est de servir à la communication des hommes entre eux. Cette fonction capitale de la langue a été négligée par F. de Saussure qui a privé le signe linguistique de toute matérialité. C'est seulement à condition d'être matériel que le mot peut transmettre une information. En tant qu'élément de la communication le mot possède plusieurs fonctions.

La grande majorité des vocables est susceptible d'exprimer des notions (ou concepts) ; il serait juste de dire que ces vocables remplissent la fonction cognitive (intellectuelle ou dénotative). Cette fonction est en rapport direct avec une autre faculté propre aux mots, celle de nommer, de désigner les objets de la réalité ou leurs propriétés ; cette autre faculté des mots en constitue la fonction référentielle (ou désignative). Certains mots ont une valeur affective, ils servent à traduire les sentiments de l'homme, son attitude émotionnelle envers la réalité ; ce sont des mots à fonction émotive (ou affective).

Les fonctions cognitive, émotive, et référentielle des mots sont recon­nues par la majorité des linguistes. Parmi ces fonctions la fonction référen­tielle caractérise le mot par excellence.

Les mots et leurs équivalents se distinguent quant aux fonctions qu'ils exercent dans la langue.

La plupart des mots autonomes, tels que les substantifs, les adjectifs qualificatifs, les adverbes, les verbes ont également la faculté d'exprimer des notions et celle de nommer les objets et leurs indices ; tels sont : hom­me, tête, main ; brave, vigoureux ; travailler, penser, etc. Ils sont appelés mots pleins.

Parmi les mots exprimant des notions il faut signaler ceux qui expri­ment des notions dites uniques. Ce sont les noms propres dénommant des lieux géographiques tels que : Moscou, Paris, la France, les Alpes, le Caucase, etc., ou des noms d'objets uniques tels que : le soleil, la terre, la lune, etc.

Parmi les mots autonomes on distingue les noms propres de personnes et d'animaux dont la fonction désignative est prioritaire : Pierre, Michel, Lucie, Médor, Minouche, etc. Ce sont aussi des mots-substituts dont les pronoms comme, par exemple : Qui parle ? Cet étudiant a tort, celui-cia raison. Certainssont venus en retard, etc.

Nombreux sont les mots autonomes qui exercent à la fois les fonctions cognitive et émotive ; ce sont entre autres : cagoulard, mouchard, barbaque - « mauvaise viande » ; crève-cœur - « grand déplaisir mêlé de dépit » qui rendent des nuances émotionnelles dépréciatives ; bichon, biquet, lapin qui sont des termes d'affection. Parmi les mots autonomes remplissant uniquement la fonction émotive viennent se placer les interjections : oh, hélas, peuh, tiens, fi, zut, oh là là, allons, va, aïe, bof, etc.

Les mots non-autonomes ou mots-outils sont aussi caractérisés pari la fonction cognitive, cependant elle est d'autre nature : elle se situe non plus au niveau lexical, mais au niveau grammatical de la langue. Certains mots-outils traduisent les rapports existant entre les notions et les juge­ments (tels sont les prépositions, les conjonctions, les pronoms relatifs, lesverbes auxiliaires copules) ; d'autres précisent, en les présentant sous jma. aspect particulier, les notions rendues par les mots qu'ils accompagnent (ainsi les déterminatifs : articles, adjectifs possessifs et démonstra-ptifs, les particules).

Signalons à part les termes modaux qui n'expriment pas des notions. |ïnais l'attitude du sujet parlant envers ce qu'il dit, par exemple : évidentument, probablement, peut-être, n 'importe, etc.

Remarquons qu'aux yeux de certains linguistes tout mot posséderait l forcément la fonction cognitive. Ainsi les noms propres de personnes et Ld'animaux rendraient la notion très générale de l'homme ou de l'animal or est toujours un chien, tandis que Paul s'associe régulièrement à fl'homme). Les interjections ne traduiraient pas les émotions du locuteur Ien direct, mais par le truchement des notions correspondantes (Pouah ! tiendrait l'idée d'un grand dégoût, tiens ! - celle d'une surprise). Cette iception, qui ne manque pas d'intérêt, fait toutefois violence aux phé-|nomènes linguistiques.

Si l'on compare, quant à leur contenu sémantique, les mots homme et Emile pris isolément la différence apparaîtra nettement. Le mothom-rendra effectivement la notion générale d'« être humain doué d'in-slligence et possédant l'usage de la parole », il n'en sera rien pour nile qui n'exprimera pas plus la notion d'« homme » que Minouche elle de « chat ». En effet, il est impossible de dégager une classe de îrsonnes dénommées Emile possédant en commun des traits caracté­ristiques. On ne peut que constater un certain rapport entre le prénom nile et la notion « homme » « être humain mâle »). Donc, au niveau dela langue-système Emile et Minouche sont dépourvus de la fonction agnitive. Il en est autrement au niveau de la parole. C'est justement ici |ue les noms propres de personnes et d'animaux se conduisent à l'égal Ses noms communs. En effet, les premiers, aussi bien que les derniers, exprimeront des notions particulières (cf. : Jean viendra - Cet homme fviendra).

Donc, les noms propres de personnes et d'animaux posséderont la fonction cognitive (et, évidemment, la fonction référentielle) au niveau ; la parole.

Aussitôt qu'un nom propre acquiert la faculté d'exprimer une notion générale (cf. : un Harpagon, un Tartufe) il sera promu au rang des noms communs et deviendra un mot à fonction cognitive au niveau de la lan-jPgue. Le passage d'un nom propre dans la catégorie des noms commun peut être dû à une connotation qu'on lui attribue sans aucune raison va­lable.

Confrontons à présent pouah ! et dégoût. Si dégoût rend bien une notion déterminée tout en la nommant, pouah ! traduit en direct un senti­ment, une émotion causée par un phénomène de la réalité. Tout comme les notions les émotions reflètent la réalité. Toutefois ces réverbérations émotionnelles se situent à un niveau inférieur en comparaison de la no­tion. Donc, les interjections possèdent exclusivement la fonction affecti­ve qui apparaît aux deux niveaux de la langue. C'est dans le fait que les interjections rendent nos sentiments et non pas des notions qu'il faut cher­cher l'explication du caractère souvent flottant, imprécis de leur signifi­cation.

§ 10. La signification en tant que structure.La majorité des lin­guistes envisage la-signification comme un des ingrédients du mot.

Ceux qui voudraient dépouiller le mot de son contenu sémantique et l'interpréter de phénomène purement formel ne tiennent pas compte de la fonction essentielle de la langue - celle de communication. C'est le cas de certains structuralistes américains qui ont exclu la catégorie de la signifi­cation de leurs recherches. Les études purement formelles des phénomè­nes linguistiques présentent la langue d'une façon tronquée, incomplète. Ainsi le renoncement à la signification cause de grands inconvénients. Un linguiste, pour peu qu'il veuille connaître la nature des faits qu'il se pro­pose d'étudier, ne saurait se borner à l'examen du plan « expression » et devra pénétrer plus avant le plan « contenu ». Souvenons-nous des paroles de L. Chtcherba au sujet du mot ; il disait que celui qui renonce à la catégorie de la signification en tue l'âme. E. Benveniste a trouvé une autre image pour rendre la même idée : « Voici que surgit le problème qui hante toute la linguistique moderne, le rapport forme : sens que maints linguis­tes voudraient réduire à la seule notion de forme, mais sans parvenir à se délivrer de son corrélat, le sens. Que n'a-t-on tenté pour éviter, ignorer, ou expulser le sens ? On aura beau faire : cette tête de méduse est toujours là, au centre de la langue, fascinant ceux qui la contemplent » .

La linguistique française n'est jamais allée jusqu'à exclure la signifi-de la langue. Toutefois les termes « sens » et « signification » du fmot n'y ont pas reçu de définition précise. Certains linguistes les em-ploient sans commentaire comme si ces notions ne soulevaient aucun doute ; d'autres éludent consciemment le problème. Il est connu que F. de ? Saussure, « pour ne pas s'embrouiller dans toutes les controverses insti-fluées à ce sujet avait préféré ne pas faire allusion à la signification ou au liens des mots. Il avait parlé de « signifié » et de « signifiant ». »

Dans la linguistique russe ce problème n'a pas été seulement posé mais largement élaboré.

Les linguistes paraissent s'entendre pour attribuer à tout mot une signification soit lexicale, soit grammaticale. On reconnaît que les mots sont porteurs de significations grammaticales lorsqu'ils expriment des fapports entre les notions et les jugements ou bien quand ils servent à I déterminer les notions.

Les linguistes conçoivent différemment la signification lexicale du mot.

Il est évident que la signification du mot n 'est pas l'objet ni le phénomène auquel elle s'associe ; ce n'est point une substance matérielle, mais i contenu idéal. Il reste pourtant vrai que sans ces objets et phénomènes ie la réalité les significations des mots n'existeraient pas. Cette thèse est légalement valable pour les mots exprimant des notions réelles et irréel­les.

La signification du mot n'est point non plus le lien entre 1`enveloppe onore d'un mot et les objets ou phénomènes de la réalité, quoique cette wnion soit assez répandue. Par lui-même ce lien entre l'enveloppe so-are des mots et les objets et phénomènes de la réalité, ne peut expliquer la diversité des significations [9, c. 1 0. 57. 15 1]. La signification est avant ut une entité idéale qui ne peut s'identifier avec quelque rapport. Il est utefois indispensable d'en préciser la nature.

Tout en reconnaissant la faculté généralisatrice du mot on oppose arfois la signification à la notion, la première étant interprétée comme catégorie linguistique et la seconde, comme catégorie logique. Seuls les Ilermes seraient susceptibles d'exprimer des notions, alors que lamajonté Ifies mots exprimeraient des significations. En effet, la signification des termes se distingue de celle des mots non terminologiques par son carac­tère scientifique et universel, il n'en reste pas moins vrai que tout mot ïète la réalité objective, qu'il soit un terme ou non. C'est pourquoi tout fmot en tant que généralisateur se rattache nécessairement à la notion. On peut dire que la notion rendue par un mot constitue le composant fondamental de sa signification. Il est notoire que les notions (précisément les notions coutumières) exprimées par des mots correspondants appartenant à des langues différentes ne coïncident pas-toujours exactement, ce qui se fait infailliblement sentir dans la signification de ces mots Ainsi, pour le mot russe pyxa nous aurons en français bras et main ; pour нога - jambe et pied. Les Français distinguent la rivière et le fleuve ; les Russes ne font pas cette différence, ils emploient dans les deux cas le mot река. Des cas fréquents se présentent lorsqu'un mot, exprimant dans une langue une notion de genre, correspond dans une autre à plusieurs mots rendant des notions d'espèce. On assiste souvent à ce phénomène lorsqu'on passe du français au russe, ce qui s'explique par le caractère abstrait du lexique français dû à des facteurs essentiellement historiques. Le verbe français cuire veut dire « préparer quelque chose par le moyen du feu ». Il n'y a pas de verbe russe correspondant ; les verbes варить, жарить, обжигать (кирпич) n'expriment que des éléments ou certains aspects de la notion rendue par cuire. Il est évident que le sens d'un mot dépend directement de la notion à laquelle ce mot se rattache. Toutefois la notion n'est pas toujours l'unique ingrédient du sens. Les linguistes qui ramè­nent le sens du mot à la notion qu'il exprime en excluent les « nuances » émotionnelles. Cette conception appauvrit le contenu idéal du mot.

Nous avons établi que la fonction affective était propre aux mots à côté de la fonction cognitive Ce sont précisément ces deux fonctions qui déterminent le sens du mot. Notons pourtant que la valeur affective ne fait pas nécessairement partie du sens d'un mot. En dehors du sens reste­ront les nuances émotionnelles qu'un mot peut prendre éventuellement dans un contexte déterminé, mais qui ne sont guère un élément constant de leur contenu sémantique. Ainsi dans « L'Ile des Pingouins » les mots pingouin et marsouin, stylistiquement neutres dans le système du voca­bulaire, prennent une tonalité affective sous la plume d'A. France du fait que pingouin fait penser à des qualités telles que la naïveté, la simplicité, et le sens étymologique de marsouin est « cochon de mer ». Dans l'œuvre de récrivain ces mots acquièrent une valeur symbolique, le premier étant une allusion aux Français et le second - aux Anglais.

À titre d'exemple citons un fragment tiré d' « Un amour de Swann » de Marcel Proust. Le héros du roman s'aperçoit qu'Odette, qui éveille en lui un sentiment tout nouveau, ressemble de façon frappante à la Zéphora de Botticelli : « ... et bien qu'il ne tînt sans doute au chef-d'œuvre florentin que parce qu'il le trouvait en elle, pourtant cette res­semblance lui conférait à elle aussi une beauté, la rendait délicieuse... Le mot d' « œuvre florentine » rendit un grand service à Swann. Il lui per­mit, comme un titre, de faire pénétrer l'image d'Odette dans un monde de rêves où elle n'avait pas eu accès jusqu'ici et où elle s'imprégna de tuioblesse. »

Dans cet extrait les paroles « œuvre florentine » sont pourvues d'une ivaleur affective que l'auteur leur confère consciemment. Toutefois cette Ivaleur affective occasionnelle ne fait pas partie de leur sens, elle reste en bnarge de la structure de leur signification. Nous pouvons dire avec Ij>. UÏImann que les fonctions affectives du langage sont aussi fondamenta-|4es que les fonctions intellectuelles (« Précis de sémantique française ». - Berne, 1959, p. 147).

Étant donné que les deux fonctions psychiques (intellectuelle et émo-t tive) du mot en déterminent le sens, ce dernier peut être logico-substantiel. [ affectif ou l'un et l'autre à la fois. Ainsi homme, arbre, électricité, rouge, grand, travailler, parler-ontun sens logico-substantiel ; les interjections sont seules à pouvoir exprimer un sens purement affectif; le sens de hari­delle, minois, se fagoter est logico-substantiel et affectif. Remarquons que certains linguistes attribuent à tort à des mots tels que chagrin, douleur, mort, mourir, pleurer, etc. des nuances d'ordre émotionnel. Si haridelle et se fagoter traduisent effectivement nos sentiments vis-à-vis des phénomè­nes dénommés, chagrin, mourir rendent uniquement la notion d'un état ou d'un sentiment et non pas notre attitude émotionnelle vis-à-vis de ces phé­nomènes.

Quant aux noms propres des êtres animés, ainsi que nous l'avons déjà constaté, ils seront privés de sens au niveau de la langue-système et auront un sens logico-substantiel au niveau de la parole. Le contenu idéal d'ordre intellectuel et émotif détermine dans une large mesure l'emploi du mot avec les autres mots. Ceci est surtout évident lorsqu'on confronte les particularités du fonctionnement des mots à signification voisine. Prenons en guise d'exemples les verbes à sens très proche : échapper et réchapper. Le premier suppose un danger tout proche, menaçant mais qui ne vous a pas encore atteint, le deuxiè­me - un danger mortel qu'on a évité par chance. C'est pourquoi on dira échapper à un danger et réchapper à la mort. Les adjectifs fragile et frêle sont des synonymes qui se distinguent assez nettement par leurs nuances notionnelles. Si fragile suppose peu de solidité, le danger d'être facilement brisé ou de périr, frêle se dit plutôt de ce qui se soutient à peine que de ce qui se brise facilement. C'est pourquoi on dira « la porcelaine est fragile », mais « le roseau est frêle ». Comparons aussi effleurer, frôler, friser qui à quelques nuances près rendent la même idée de « toucher légèrement ». Effleurer signifie « toucher légèrement à la superficie volontairement ou non », frôler ajoute au sens de effleu­rer les nuances « en passant rapidement », friser signifie « frôler en produisant des vibrations ». C'est pourquoi il est correct d'employer seulement effleurer dans « // effleura son front, ses yeux, puis ses joues de baisers lents, légers » ( Maupassant). Le verbe frôler est bien à sa place dans « La jupe qui se hâte frôle une tombe... » ( J. Romain). Friser rend la nuance qui lui est propre dans « Le vent qui ne fait que friser l'eau en ride la surface » ( Dict. de l'Académie). Citons encore ébouillanter, échauder et blanchir. En plus de « passer à l'eau froide », sens rendu par ces verbes, blanchir ajoute la nuance « pour ôter l'âcre-té », c'est pourquoi il est employé de préférence lorsqu'on parle de cer­taines denrées ; ainsi on dira blanchir les choux.

Les distinctions notionnelles expliquent aussi les divergences dans l'em­ploi des mots correspondants dans des langues différentes. En russe on dit également - этот человек не работает et телефон не работает, alors qu'en français le verbe travailler ne traduira que le premier sens, c'est que le contenu notionnel de ces verbes ne se recouvre pas. Le russe ранние correspond au français précoce ; pourtant la combinaison ранние овощи, correcte en russe, sera rendue par primeurs en français ; en revanche, en français on dira bien un enfant précoce, tandis qu'en russe nous aurons развитой ребенок.

L'emploi d'un mot avec les autres mots est aussi conditionné par sa valeur affective. Le substantif vieillard implique le respect par rapport à vieux nuancé plutôt défavorablement. De là les emplois un vénérable vieillard &i un petit vieux où les adjectifs mettront en évidence les nuances émotionnelles respectives. Les mots nègre et négresse s'étant imprégnés d'une nuance dépréciative ont été évincés au profit de noir et noire - émotionnellement neutres.

Toutefois l'emploi d'un mot avec d'autres mots ne correspond pas toujours exactement à son contenu idéal. On assiste souvent à un décalage entre le contenu notionnel d'un mot et son emploi réel. L'exemple d'un pareil décalage devenu classique est fourni par l'adverbe grièvement qui par son contenu idéal correspond à gravement, mais s'emploie de préfé­rence en parlant de blessures - grièvement blessé, grièvement atteint, tan­dis que pour gravement il n'en est rien et il s'emploie conformément à la notion qu' il exprime. Ce décalage entre l'emploi réel du mot et son contenu idéal est le résultat de la tradition, de l'usage.

Les mots peuvent être porteurs d'un contenu notionnel identique, mais appartenir à des registres stylistiques différents (cf. : tête et cabo­che, yeux et mirette, regarder et zyeuter, ciel &. firmament, poitrine et gorge). Il est à noter que l'emploi régulier ou constant d'un mot dans un style déterminé peut avoir pour conséquence que ce mot se colore d'une nuance émotionnelle ; alors le mot acquiert un contenu idéal autre que celui de son synonyme appartenant au style neutre (cf. : regarder et zyeuter, ou ciel et empyrée) ; ce contenu idéal comportera une valeur affective supplémentaire.

Si l'on applique le terme sens au contenu idéal d'un mot, il faudrait un autre ternie, pour nommer ses particularités d'emploi dû à l'usage ou à son appartenance stylistico-fonctionnelle. Le terme « signalement » proposé par J. Marouzeau serait admissible.

Alors le sens d'un mot serait son contenu idéal qui traduirait son as­pect logico-substantiel et affectif, autrement dit, il caractériserait le mot quant à son aspect extralinguistique. Le signalement mettrait en évidence la position relative du mot par rapport aux autres vocables tant au niveau de la langue-système qu'au niveau de la parole, il ferait ressortir son as­pect intralinguistique1.

Le sens et le signalement constituent la structure de la signification lexicale d'un mot.

Le sens d'un mot et son signalement sont intimement liés. Leur in­fluence est réciproque.

Ainsi la signification lexicale subit l'effet de facteurs extralinguisti­ques et intralinguistiques. Les facteurs extralinguistiques agissent sur le sens, alors que les facteurs intralinguistiques portent avant tout sur le si­gnalement. Toutefois il est à signaler que le sens ne reste pas non plus entièrement indifférent aux facteurs intralinguistiques, ce qui est une con­séquence du caractère systémique du vocabulaire. En effet, le contenu idéal de tout mot reçoit des contours plus ou moins nets en fonction du sens des mots sémantiquement apparentés. Donc, les rapports sémantiques qui s'éta­blissent entre les vocables dans le système de la langue se répercutent dans une certaine mesure sur le sens et, par conséquent, sur toute la significa­tion lexicale dans son ensemble. Ce phénomène est connu sous le terme de « valeur » lancé par F. de Saussure.

La linguistique des siècles passés étudiait principalement le contenu idéal du mot, son aspect extralinguistique. Plus récemment certains linguis­tes, sous prétexte d'étudier le système du vocabulaire, sont allés jusqu'à priver le mot de son contenu idéal propre, de son indépendance sémantique.

Dans les années 30 du XXe siècle le linguiste allemand J. Trier a éla­boré la théorie du « champ lexical » d'après laquelle tout mot n'aurait un sens qu'à condition d'être envisagé par rapport à d'autres mots auxquels il est associé.

La conception de J. Trier a été reprise par d'autres linguistes qui y ont apporté des modifications plus ou moins considérables. Mais tous s'enten­dent pour renier l'indépendance sémantique du mot.

L'intérêt porté à l'examen des rapports, des associations qui existent entre les mots est louable. Toutefois l'étude du vocabulaire ne pourrait se borner aux rapports, aux associations qui s'établissent entre ses unités. Comme il a été dit précédemment, par eux-mêmes les rapports sémanti­ques ne créent pas le sens. Rattaché à un contenu idéal déterminé, orienté vers la réalité objective, le mot possède une autonomie sémantique, un contenu sémantique propre qui conditionne son fonctionnement. Privé de son contenu sémantique le mot aurait cessé d'être un mot.

Donc, la structure de la signification lexicale est un phénomène lin­guistique complexe qui dépend de facteurs extralinguistiques et intralinguistiques. Le rôle central dans cette structure appartient à la notion : il en constitue l'élément obligatoire pour la presque totalité des vocables, alors que la présence des autres indices sémantiques (nuances émotion­nelles, caractéristiques stylistiques, particularités d'emploi) est faculta­tive.

Dans l'analyse de la signification la linguistique moderne utilise lar­gement les termes « dénotation » et « connotation ». La dénotation concer­ne le contenu cognitif de la signification, alors que la connotation porte sur les éléments d'ordre affectifs et les caractéristiques stylistiques que la si­gnification peut receler facultativement1.

L'étude de la structure de la signification lexicale peut être poussée encore plus avantjusqu'au niveau des composants sémantiques minimums appelés « sèmes ». Chaque signification peut être représentée comme une combinaison de sèmes formant un « sémantème » (ou « sémème »). Par exemple, le sémantème de chaise comprend les sèmes « siège (pour s'as­seoir) » (S,), « avec dossier » (S,), « sur pieds » (S,), « pour une seule personne » (S4) ; le sémantème de fauteuil en plus des sèmes de chaise possède le sème « avec bras » (Sv).

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