Les groupements lexicaux 19 страница
- le passage d'une catégorie lexico-grammaticale dans une autre : battant, palpitant - « cœur » ; luisant - « soleil » et « jour », crevant -« très fatigant » et « très drôle », cogne - « policier, agent de police », centrale (m) - « prisonnier détenu dans une maison centrale» ;
- la composition : casse-pattes - « boisson très forte », court-jus -« court-circuit », court-circuits - « douleur vive et rapide », casse-pipe -« guerre »,pète-sec se dit d'une personne autoritaire, qui commande sans réplique :
- le télescopage : malagauche de mala[droit] et gauche - « maladroit « ,fouhitude de foul[e] et [mul]titude - « grande quantité », éco-nocroques de écono[mie] et croqu[er] ;
- l'abréviation : bombe pour « bombance », alloc pour « allocation », beauf(e) pour « beau-frère », estom pour « estomac », diam pour « diamant », maquille pour « maquillage », der pour « dernier » (cf. : le der des ders - « le dernier verre avant de se quitter ») ;
- la formation d'onomatopées : toquante - « montre » < toc-toc, fric-frac - « vol avec effraction » ;
- la formation de locutions phraséologiques, tas de ferrailles - « véhicule en mauvais état», pincer de la harpe, de la guitare - « être en prison », son et lumière - « une personne âgée, un vieillard », soixante-dix-huit tours - « personne âgée ou démodée », être tondu à zéro -« avoir les cheveux coupés ras », c'est du cinéma ! - « c'est invraisemblable, ce n'est pas crédible ! »,
c 'estpas de la tarte ! - « cela n'ira pas tout seul, c'est qch de très difficile ! », n 'en avoir rien à cirer - « s'en désintéresser complètement ».
Cependant l'argot possède certains modèles et procédés de formation qui lui appartiennent en propre. Signalons, entre autres, les pseudosuffixes argotiques -mar(e), -muche, -uche, -oche, -go(t), -os, -anche, -dingue, -aga, par exemple : épicemar - « épicier » ; Ménilmu-che - « Ménilmontant », argomuche - « argot » ; la Bastoche - « la Bastille », cinoche - « cinéma » parigot- « parisien », icigo - « ici », lago - « là » ; chicos - « chic », craignos se dit de qch de laid, douteux, inquiétant : « Cet hôpital ripou (= « pourri ») devient craignos », calmos (du calme !), boutanche - « bouteille », préfectanche - « préfecture », cradingue - « très sale, crasseux », sourdingue - « sourd » ; poulaga -« policier».
Un des procédés préférés de l'argot paraît être la déformation des mots existants. Les suffixes argotiques signalés ci-dessus servent notamment à déformer les mots de la langue générale en les faisant passer, transfigurés dans l'argot. Un autre moyen de déformer les mots, et qui n'est rien qu'un code spécial, consiste à remplacer la consonne ou le groupe de consonnes initiales par un 1, à les rejeter à la fin en les faisant suivre d'une finale : -é, -em, -i, etc. C'est ainsi qu'ont été formés loucherbem et largonji désignant l'ancien argot des bouchers de la Villette : l-ou-cher-b-em de « boucher », l-ar-gon-j-i de « jargon » ; cf. encore : elicierpem pour « épicier », enlerfem pour « enfer », lauchem - « chaud », laubé - « beau, belle », linvé pour « vingt ». Signalons encore le verlan, autre procédé qui consiste à retourner le mot « à l'envers », syllabe par syllabe : brelica pour « calibre », chicha pour « haschisch », tromé pour « métro »,féca pour « café », ripou pour « pourri »'.
Comme nous l'avons vu les créations nouvelles dans l'argot des déclassés sont nombreuses ; toutefois elles ne présentent pas toujours de véritables néologismes, mais des altérations purement formelles de mots de la langue commune ; ainsi de valise on tire valoche, valdingue.
C'est encore plus souvent en conférant des acceptions nouvelles aux vocables de la langue commune que l'argot se développe. D'une manière générale l'argot est caractérisé par les mêmes procédés sémantiques que la langue nationale. Mais parmi ces procédés la première place revient aux changements métaphoriques : « ... la métaphore..., remarque entre autres linguistes, A. Dauzat, c'est une des principales forces créatrices des langages argotiques comme de tous les parlers populaires, essentiellement émotifs. » [45, p. 149]. À titre d'exemples nommons piano - « les dents », souris - « fille, femme » (plutôt jeune et bien faite), corbeau - « curé en soutane », aquarium - « bureau vitré ». fuseaux - « jambes » (plutôt maigres), rat - « avare ». éponge - « ivrogne », agrafer, accrocher - « appréhender, arrêter », nettoyer - « dépouiller », expédier - « tuer ». planer - « rêvasser, ne pas avoir le sens de la réalité »
On y trouve plus rarement des métonymies : pèlerine - « policier », calibre - « revolver ». la calotte - « le clergé, les curés ». foire - « fête, goguette ».
Les euphémismes y sont fort nombreux : effacer, envoyer, descendre, régler son compte pour « abattre, tuer ». soulager, détourner, travailler pour « voler ». frangine, nana, fille de noce, marchande d'amour pour « prostituée », faire sa malle, lâcher la bouée, perdre le goût du pain, rendre ses clés pour « mourir ».
L'argot compte un nombre considérable de vocables étrangers ce qui s'explique par les contacts fréquents des déclassés français avec des représentants d'autres nationalités au cours de l'histoire. Non seulement les langues modernes, mais aussi les langues mortes ont participé a» renouvellement de l'argot. Ce caractère quelque peu savant de l'argot lui a été conféré déjà à l'époque où il était, un langage secret, ses créateurs et ses réformateurs étant souvent des gens suffisamment instruits
Parmi les vocables d'origine étrangère citons -.flemme - « paresse » < ital. "flemma" - « tranquillité, patience ». fourguer - « acheter des objects provenant d'un vol » < ital. "frugare" - « chercher avec minutie ». sbire - « surveillant de prison, policier » - < ital. '"sbirro" - « policier » ; frio - « froid » < esp. "frio", mendigot - « mendiant errant » < esp. "men-digo", moukère - « femme de mauvaise vie » < esp. "mujer" - « femme, épouse » ; schlague - « fouet, cravache (comme châtiment corporel) » < all. ,,Schlag" - « coup », schlass ou chlass - « ivre » < all. ,,Slass" -« fatigué, mou » : because, bicause - « parce que » < angl. "because". bisness, bizness - « métier » < angl. "business" - « affaire(s). occupation ; casbah - « maison ; local d'habitation », d'origine arabe.
L'argot se distingue par la multiplicité de ses synonymes. Toutefois cette richesse, selon lajuste remarque de A. Dauzat. est « plus apparente que réelle, car le nombre des mots ne répond pas à une grande variété de sens et de nuances » [45. p. 185]. En effet, les membres des nombreuses séries de synonymes qu'offre l'argot peuvent être généralement employés indifféremment et présentent des synonymes dits « absolus ». C'est ainsi que pour « père » l'argot dit le dabe ou le daron qui sont de simples équivalents : il en est de même pour « main » -pince, patte, cuiller, etc. ; les équivalents argotiques de « tête » sont encore plus nombreux : bille, bobine, bouchon, boule, caillou, cafetière, citrouille, chou, pêche, cense, cassis, pomme et d'autres figurant au nombre de 66 dans le dictionnaire de l'argot par J.-P. Colin et J.-P. Mével [46]. On pourrait aisément multiplier les exemples. Ainsi, selon les données du même dictionnaire, l'argot a à sa disposition environ 28 mots pour exprimer l'action de manger, 34 mots signifiant « boire », 11 mots désignant l'« eau-de-vie ». 32 mots désignant 1« ivresse » et l'« ivrogne » : l'argent est dénommé par 71 mots. 26 mots désignent la « prison » et 66 - le « policier ».
Cette abondance de synonymes résulte de la tendance très accusée de l'argot, tout comme du langage populaire en général, de remplacer les vocables, dont l'image s'efface peu àpeu, pard'autres vocables plus évo-cateurs, frappant l'imagination.
Les vocables d'origine argotique représentent donc, comme règle, des synonymes ou des variantes de mots de la langue commune et ils sont souvent eux-mêmes formés à partir de ces mots.
En parlant des synonymes il est nécessaire de mentionner un phénomène qui a pris une extension particulière dans l'argot. Ce phénomène pourrait être nommé « création de synonymes par attraction de sens » : il consiste en ce qu'un vocable est susceptible de recevoir en qualité de synonymes tout autre vocable uni au premier par un rapport sémantique plus ou moins apparent. Lorsqu'en argot un nom de fruit a désigné « la tête » (selon le témoignage de A. Dauzat. « le premier tenue paraît être la poire, d'après une caricature de Louis-Philippe »), d'autres noms de fruits ont subi la même évolution sémantique (cf. : pêche, pomme, citrouille, etc.) servent aussi à présent à désigner la tête. Les rapports sémantiques qui se trouvent à la base de la création de nouveaux synonymes sont parfois plus compliqués. Ainsi, chiquer qui signifie en argot « battre » et « tromper » éveille aussi l'idée de tabac (pour autant qu'en français standart chiquer veut dire « mâcher du tabac ») ; partant de l'idée de battre, d'un côté et de l'idée de tabac de l'autre, chiquer donne naissance à deux séries synonymiques parallèles -.passer à tabac, tabasser - « battre, rouer de coups » et raconter une carotte, raconter une blague - « tromper ».
Cet exposé, aussi bref soit-il, démontre avec évidence que les lois qui président au renouvellement et au développement de l'argot, malgré les quelques particularités qui lui sont propres, sont les mêmes que celles de la langue commune.
Il a été dit que l'argot des déclassés a surgi en qualité de langage secret créé dans des buts de défense sociale. Quant à l'argot moderne, la majorité des linguistes dont L. Sainéan [47. p. 482] et A Dauzat [45. p. 21], se rangent de l'avis qu'il a perdu son caractère secret à la suite de sa pénétration, devenue particulièrement rapide dès le début du XIXe siècle, dans le langage populaire : de là l'affirmation que l'argot comme tel n'existe plus.
Cette vue est mise en cause par P. Guiraud qui insiste sur la fonction cryptologique de certains procédés de renouvellement du vocabulaire ar-. gotique : « ...le milieu, dit-il, continue à forger des mots secrets, mais en donnant une place toujours plus grande aux formes codées. Il est donc inexact de dire qu'il n'y a plus d'argot » [49. p 25]. D. François-Geiger. dans son Introduction au « Dictionnaire de l'argot » (1990) de J -P. Colin et J.-P. Mével, remarque que « ...la fonction cryptique s'accompagne d'une fonction ludique et le plaisir verbal semble même l'emporter actuellement » (pp. XII-XIII). Cette opinion paraît être justifiée vu la pénétration des vocables argotiques dans tout parler quelque peu relâché. Toutefois la vitalité de l'argot paraît être due avant tout à sa fonction de servir d'indice social. En effet, l'argot offre à l'argotier tout aussi bien la possibilité de s'affirmer, de marquer son appartenance à un groupe social qui se veut à part, qu'un moyen de ralliement avec ses pareils.
Au cours des siècles l'argot des déclassés a fourni au français littéraire une partie de ses vocables par l'intermédiare du langage populaire.
Certains d'entre eux s'y sont incrustés si profondément qu'ils ont complètement perdu leur valeur argotique. Déjà au milieu du XXe siècle Clément Casciani disait à ce propos : « Nombre d'expressions qui. au XVIIIe siècle, étaient du pur argot figurent aujourd'hui dans le diction-, naire de l'Académie où elles ne font pas trop mauvaise figure. » [49, p. 54]. Qui se douterait aujourd'hui de l'origine argotique des mots tels que abasourdir (de l'ancien basourdir- « tuer »), boniment (tenue de saltimbanque, de bonir-, dire », proprement « en dire de bonnes »). bribe (qui signifiait à l'origine « pain mendié »). dupe (formé de huppe avec l'agglutination du d de de), grivois (autrefois « soldat »). polisson (dont le sens primitif est « voleur ». de polir - « voler »).
L'influence de l'argot continue à se faire fortement sentir dans le français national moderne. Certains vocables, sans perdre toutefois leur valeur argotique et populaire, figurent dans les dictionnaires généraux et reçoivent droit de cité sur les pages des œuvres littéraires
Signalons entre autres : becter, bouiotter - « manger ». galette, pognon, grisbi - « argent ». toucher la galette - « toucher de l'argent ». agrafer- « empoigner, arrêter ». piaule - « chambre, logement ». pinard - «toute espèce de vin ». plombe ~ « heure ». broquille ~ « minute » (cf. : six plombes et vingt broquilles), mec - « homme, individu quelconque », baffe - « gifle ». baccara - « faillite » (dans l'expression être en plein baccara - « être dans les ennuis jusqu'au cou »). flemme, cosse - « pares-. se »,pote - « camarade, ami ». zig~«. type, individu ». bastringue - « bal de guinguette », frangin, -ine - « frère, sœur », moche - « laid », chouette - « beau, bon, agréable », alpaguer, pincer - « appréhender, arrêter » et « mettre la main sur, s'emparer de, saisir qn », bousiller - « travailler mal et vite », ça boume, ça gaze - « ça va, ça va bien », d'enfer, du tonnerre - « sensationnel, excellent ».
§ 83. Les jargons ou argots professionnels. Des argots de classe il faut distinguer les jargons ou les argots professionnels. Les argots professionnels sont des langages spéciaux servant des groupes d'individus pratiquant quelque métier ou profession. De même que les argots de classe les jargons professionnels ne possèdent en propre qu'une partie du lexique ; quant au système grammatical et la prononciation, ils sont ceux de la langue commune. Les argots professionnels comprennent des mots et des expressions destinés généralement à suppléer les mots de la langue commune usités par les représentants de professions et de métiers différents. Ces mots et expressions sont souvent caractérisés par une nuance émotionnelle, affective.
Les ouvriers possèdent dans chaque corps de métier un argot spécial. Il en est de même pour le théâtre et le cinéma, les écoles et autres corporations de gens réunis d'après leurs occupations. Les soldats parlent argot dans la caserne comme les marins sur le navire.
Signalons à titre d'illustration quelques vocables d'origine argotique figurant dans les dictionnaires de type général. Tels sont de l'argot des écoles : boîte - « école », boîte à bachot, bahut - « lycée » ; piocher, chiader, potasser - « travailler avec assiduité » ; diff- « difficile » ; prof - « professeur » ; math élém - « mathématiques élémentaires » ; colle -« exercice d'interrogation préparatoire aux examens » et « question difficile »,pion - « répétiteur », archicube - « ancien élève de l'École normale supérieure » : énarque - « ancien élève de l'École nationale d'administration (considéré comme détenteur du pouvoir) », sorbonnard - « étudiant en Sorbonne.
Dans l'armée, qui a son argot très étendu, ont pris naissance : barda- « équipement complet du soldat » ; rab(iot) - « ration en supplément » ; perm(e) - « congé accordé à un militaire, permission » ; colon -« colonel », capiston - « capitaine » ; juteux - « adjudant » flingot -« fusil » ; marmite - « obus » ; marmitage - « bombardement » pagnoter, roupiller - « dormir », baroud- « combat » ; taule - « prison militaire » et beaucoup d'autres. Certains, en passant dans l'usage courant, ont acquis des sens supplémentaires ou bien ont élargi leur emploi. Ainsi godillot en plus de « chaussure militaire » s'emploie aussi pour nommer « un inconditionnel, un fidèle qui marche sans discuter » : pinard à partir de « boisson préférée des soldats » s'est largement répandu dans le langage courant où il désigne le vin rouge ordinaire.
Les jargons de classe, les jargons ou argots professionnels de même que l'argot des déclassés sont autant de ramifications de la langue nationale commune.
Il ne faut pas confondre avec les jargons et les argots les diverses terminologies et les différents vocabulaires professionnels qui enrichissent la langue nationale de termes spéciaux exprimant des concepts nouveaux.
- Tels sont les termes de médecine : pasteurisation, auscultation, vaccination, insufflation, capillarité, thérapie, diphtérie, albinisme, rhumatisme, rhinologue, sphygmomanomètre, scannographie. etc. :
- les termes de physique : volt, ampère, irisation, polarisation ;
- les termes de chimie : néon, brome, iode, condenser, carbone ;
- les termes techniques : électriflcation, aciération, canalisation, déraillement, fusionnement, dérouillement. etc., et une multitude d'autres termes.
CHAPITRE III