L'architecture de la renaissance

dans cette France littéralement couverte de monuments de toute sorte, il est
une région plus favorisée encore que les autres et qui est comme un des
sanctuaires de l'architecture nationale: c'est cette vallée de la Loire,au ion о
de laquelle la Renaissance paraît avoir accumulé, comme à plaisir, une
floraison de châteaux. Au fait, il doit y avoir là plus qu'une coïncidence: la
rencontre quasi nécessaire d'un paysageet d'un artfaits l'un pour l'autre,
puisque épris de la même lumière et se mirant dans les ondes du même fleuve...

/

LES CHÂTEAUX DE LA LOIRE

Les admirables châteaux de l'admirable vallée; plus que double rangée,
non pas double rangée s double lignée, double longée, double cortège,
double jonchée de châteaux1, fleuve que l'on dit qui n'est pas navigable, et
qui porte plus de palais que les autres ne traînent de péniches; quelle autre
vallée dans le creux penché de ses rebords enferme autant de merveilles?
quel autre fleuve a pu se faire un tel cortège royal, fleuve mouvant, de
splendeurs immobilières2? amours de Cassandre; amours de Marie; amours
d'Astrée; poésies pour Hélène; amours diverses; odes; églogues; élégies
hymnes; poèmes; Gaietés; poésies alverses; Le Bocage royal ~ tant de
sonnets, parfaits, tant de poèmes, parfaits; la pureté même; la ligne et la
teinte; châteaux eux-mêmes; châteaux et palais de langage français; et dans
le même temps, dans le même pays, dans la même vallée, du même geste,

delà même éclosion, du même langage, du même style, cîiàteaux du même
langage français, châteaux et palais de pierres et de briques; doubles
architectures, architectures parallèles; sonnets et poèmes qui sont des
châteaux et des palais; châteaux et palais qui êtes des sonnets et des
poèmes; même langage, également parfait, en deux systèmes, en un
système de pierre et de brique, en un système de mots et de phrases; même
rythme en deux systèmes de monuments — sont-ils également
impérissables? — qui disent la même parole de courtoisie en deux modes,
solides monuments de pierre et de brique, mêmes et également solides
monuments de mots et de phrases, et obéissant aux lois de la même
pesanteur.

Fleurs, feuilles, dentelles, robes et traînes de pierre; fleurs, feuilles,
dentelles, robes et traînes de mots (...).

Fleuve qui chante éternellement le poème de la solitude et de la
tranquillité infinie, le seul pourtant qui ait une cour, le seul qui par une
merveilleuse contradiction intérieure vive en effet dans la solitude la plus
éternelle, dans la quiétude et dans la tranquillité la plus infinie, dans la paix
du cœur et dans le noble seul et seul digne silence, et qui dans le même
temps et pourtant, par une admirable contrariété intime, est aussi le seul qui
se soit fait plus qu'un cortège, plus qu'une cour: le seul qui ait pu se faire
tout un peuple4 de châteaux*.

CHARLES PÉGUY. Situations (1906-1907).
Примечания:

I. Rangée évoque seulement des objets immobiles, tandis que lignée évoque la naissance
noble; longée, la promenade; cortège, la procession royale; jonchée, la dispersion sur le sol.

2. Букв, образованные недвижимым, т.е. зданиями. Поэт соединяет здесь идеи непо-
движного и движущегося (замки формируют реку, текущую перед нашими глазами).

3. Перечисляются названия произведений (за исключением "Amours d'Astrée") и цик-
лов стихов, написанных Ронсаром, уроженцем здешних мест, а также поэтических
жанров, которые он использовал. 4. Il y a gradation entre cortège, cour, peuple — сви-
той, двором, население.».

Вопросы:

* Cherchez dans l'œuvre de Ronsard et dans les châteaux de la Loire dts exemptes
illustrant la comparaison, l'assimilation faite par Péguy. — Étudiez le style de cette page,
fait de retours et de reprises, expression d'un soin, d'un scrupule qui ne veulent rien perdre
de la vérité. — Rapprochel Péguy prosateur de Péguy poète (cf. supra: «Adieux à la
Meuse» ).

VERSAILLES

En majesté, il paraît impossible de surpasser Versailles. Qu'il s'agisse des
bâtiments ou des jardins, des escaliers ou des pièces d'eau, des allées, des
perspectives ou des marbres, tout y respire la noblesse, la somptuosité.C'est à
peine si les Trianons, avec leurs colonnes d'un rosé un peu passé, et le
mélancolique Hameau de Marie-Antoinette apportent une note d'abandon,
voire de nonchalance, à un ensemble d'une infaillible sûreté. Mais, plus encore
que le château, qui sans doute impose à l'excès, c'est le parc et la prodigieuse
géométrie dessinée par Le Nôtre qui aujourd'hui suscitent notre admiration.

LA SEMAINE DES ARBRES A VERSAILLES

Chaque année, durant une semaine environ, a lieu à Versailles une fête
silencieuse et magnifique. Pour y assister, il n'est besoin d'aucune
autorisation et d'aucun privilège. Elle est publique et naturelle. Il suffit,
pour en être librement témoin, de franchir la haute grille dorée qui sépare
la place d'Armes de la Cour d'honneur, dont le sol, inégal et dur aux pas,
est doux à l'œil par les nuances délicates et variées de ses pavés de grès, de
longer la chapelle, de traverser le vestibule et de s'avancer jusqu'au parterre
d'eau qui mire en ses bassins plats ses nobles statues de bronze, et d'où l'on
domine un des plus admirables spectacles qu'il soit possible de contempler.
Quelles que soient, en effet, l'heure et la saison, c'est toujours un lieu
sans pareil que ces jardins de Versailles, avec leur double rampe
harmonieuse et leur perspective que termine le Grand Canal1 et qu'encadré
l'ombrage régulier des arbres; mais il est un instant où ils atteignent une
beauté insolite et particulièrement splendide, et où ils donnent aux yeux
une fête incomparable et qui est comme le moment de leur gloire suprême
et parfaite, celui où l'automne, prince de l'année, les visite et y promène sa
mélancolie sous sa couronne de feuilles d'or.

A Versailles, l'automne est souverain. Son sceptre y crée une féerie.
Pour le recevoir, les arbres se teintent des plus riches et des plus
somptueuses couleurs, se dorent, s'empourprent de feuillages fastueux,
jonchent les allées et les bassins, emplissent la solitude de l'éclat de leur
parure. Jamais Versailles n'est plus royal qu'en ces jours d'apothéose, qui
durent peu et qu'il ne faut pas laisser passer sans en aller admirer
l'éblouissante brièveté, car c'en est bientôt fait de cette prodigieuse
pyrotechnie végétale*. Comme un feu d'artifice, auquel elle ressemble, il
n'en reste bientôt plus que des branches noires et dénudées. Le prestige
s'est évanoui. La splendeur s'est éteinte. La semaine des arbres est
terminée**.

HENRI DE REGNIER. Sujets et Paysages (1906).

. 429

Примечания:

1. В то время каналом называли любой водоем правильной формы.

Вопросы:

* On expliquera et on justifiera cette curieuse expression.

** Montrex que le vocabulaire s'ordonne essentiellement autour de l'idée de faste, de
magnificence.

LE CORBUSIER

Par ses réalisations audacieuses comme -par les nombreux ouvrages où il
a exposé ses conceptions, Le Corbusier (Suisse d'origine, mais Français de
culture, et d'ailleurs naturalisé) s'inscrit en tête des architectes de notre temps.
Entre tous les mérites de ce grand créateur, le plus frappant est sans doute son
effort incessant pour mettre une technique révolutionnaire au service de la
simple humanité.

L'ARCHITECTURE AU SERVICE DE L'HOMME

Sans avoir jamais voulu m'opposer à Auguste Perret1 mais, au contraire,
bénéficiant de son effort, je me suis très particulièrement penché sur le
problème: logis-urbanisme, binôme2 indissociable. Je l'ai exploré selon une
règle acquise hors des écoles: du dedans au dehors, règle qui m'apparaît
être loi de la nature comme aussi bien de l'architecture.

Illustrons:

L'homme (cet homme qui est toujours, devant moi, avec ses dimensions,
ses sens, son affectivité) est assis à sa table; ses yeux se posent sur les
objets qui l'entourent: meubles, tapis, rideaux, tableaux ou photographies et
maints objets auxquels il attache signification. Une lampe l'éclairé ou le
soleil qui pénètre par la fenêtre, séparant l'ombre de la lumière, opposant
ces deux extrêmes lourds de réaction sur notre physique et notre
psychique: le clair et l'obscur. Les murs d'une chambre se referment sur lui
et sur ses agencements. Notre homme se lève marche, quitte la chambre,
passe ailleurs, n'importe où. Le voici ouvrant la porte du logis, sortant de
chez lui. Il est encore dans une maison: un corridor, des escaliers, un
ascenseur... Le voici dans la rue. Comment est fait ce dehors: hostile ou
accueillant? Sûr ou dangereux? L'homme est dans les rues de là ville, et le
voici, après certains actes successifs, hors de la ville, dans la campagne.

Pas une secoi'nde, l'architecture ne l'a quitté: meubles, chambre, lumière
solaire ou artificielle, respiration et température, disposition et services de
son logis; la maison; la rue; le site urbain; la ville; la palpitation de la ville;
la campagne, ses chemins, ses ponts, verdure et ciel, nature.

Architecture et urbanisme ont véritablement réagi sur tous ses gestes.
Architecture en tout: sa chaise et sa table, ses murs et ses chambres, son
escalier ou son ascenseur, sa rue, sa ville. Enchantement ou banalité, ou
ennui. Horreur même possible en ces choses. Beauté ou laideur. Bonheur
ou malheur. Ur''banisme en tout, dès qu'il s'est levé de sa chaise: lieux de
son logis, lieux de son quartier; le spectacle de ses fenêtres apprêté par les
édiles3; la vie de la rue; le dessin de la ville*.

Vous sentez: bien qu'il n'est pas un instant où la vigilance, la tendresse
aient pu faire défaut. Vous discernez bien cette vocation fraternelle de
l'architecture et de l'urbanisme au service de notre frère homme. Besoins
matériels, appétits spirituels, tout peut être comblé par cette architecture et
cet urbanisme ;attentifs. Vous sentez l'unité des fonctions, la totalité de la
responsabilité, la grandeur de la mission architecture et urbanisme.

Mais beaucoup n'ont pas mesuré qu'il s'agit en effet, ici, d'une attention
fraternelle portée à autrui. Que l'architecture est une mission réclamant de
ses servants la vocation. Que, vouée au bien du logis (et le logis abritant
après les hommes, le travail, les choses, les institutions, les pensées),
l'architecture est un acte d'amour et non une mise en scène. Que s'adonner à
l'architecture, en ces temps-ci de translation d'une civilisation déchue dans
une civilisation nouvelle, c'est comme entrer en religion, c'est croire, c'est
se consacrer, с 'est se donner**.

LE CORBUSIER.Enfrefien avec les étudiants des écoles d'architecture (1943).

Примечания.:

1. Знаменитый архитектор, в частности, автор театра "На Елисейских полях" в Па-
риже. 2. Алгебраический термин: двучлен. 3. Членами городского управления, муни-
ципалитета.

Вопросы:

* Qu'v a-t-il d'expressif dans le style de ce paragraphe?

** N'y a-t-il pas eu d'autres époques, où l'architecture, précisément, a pris un caractère
profondément religieux?

AUGUSTE RODIN(1840-1917)

en un pays qui a vu naître Jean Goujon, Germain Pilon, Puget, Pigalle, Rude
et Bourd-elle, Auguste Rodin occupe incontestablement la première place. Et
pourtant le succès n'a point souri aussitôt aux efforts de l'artiste, qui heurtait
avec trop de témérité les formules académiques. D'où le scandale suscité par
des œuvres grandiosestelles que L'Age d'Airain'ou la statue de Balzac.
Rodin a été un visionnairede la sculpture. Un créateur dont la puissance et
l'ambition dépassaient parfois les possibilités d'un art rudement enchaîné à la
matière. Un esprit assoiffé de grandeur, et en même temps un frère de la misère
humaine.

LES BOURGEOIS DE CALAIS

Sur la place publique de la ville vaincue, affamée et sans armes, les six
bourgeois ont délibéré. Pour sauver la ville de la ruine et leurs concitoyens
de la mort, ils ont fait le sacrifice de leur vie, et ils vont se livrer au roi
d'Angleterre1. Le monument de Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un
miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme, unanimement
accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la diffé-
rence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par
les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes
hautaines, presque provocantes, ou bien se résignent noblement. Les jeunes
se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le
regret de cette vie, à peine commencée et dont ils ne connaissent que les
joies... Et le mouvement, les attitudes, les expressions sont si justes, d'un
sentiment humain si vrai que, derrière le groupe, prêt à se mettre en
marche, on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage
et qui pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul
souci scénique du groupement; aucune allégorie, pas un attribut2. Il n'y
a que des formes, expressives et belles, si expressives qu'elles deviennent,
véritablement, des états d'âme. Les bourgeois partent, et le drame vous
secoue de la nuque aux talons.

Ce que j'ai fait pour Les Bourgeois de Calais, on peut le faire pour
chaque figure d'Auguste Rodin. (...) Son génie, ce n'est pas seulement de
nous avoir donné d'immortels chefs-d'œuvre, c'est d'avoir fait, sculpteur, de
la sculpture, c'est-à-dire d'avoir retrouvé un art admirable et qu'on ne
connaissait plus.

Et ce qu'il y a de poignant dans les figures de Rodin, ce par quoi, en
dehors même et peut-être à cause de leur propre beauté sculpturale, elles

nous touchent si violemment, c'est que nous nous reconnaissons en elles, et
qu'elles sont, comme le disait Stéphane Mallarmé, «nos douloureux
camarades*».

octave mirbeau. Des Artistes.

Примечания:

1. Эдуарду III (1312 - 1377). Осада Кале происходила во время Столетней войны.
2 Деталь, конкретно определяющая социальное положение, профессию и т.п.

Вопросы:

* Appréciez la justesse de cette page d'Octave Mirbeau, par comparaison avec la photo
de la page précédente. — Connaissez-vous d'autres œuvres de Rodin, où la -puissance ne
s'exprime plus d'une façon aussi littéralement descriptive?

NOTES SUR ANTOINE BOURDELLE

(1861-1929)

BOURDELLE n'a pas été seulement un des -plus grands sculpteurs de notre
temps. Comme un Léonard de Vinci ou un Michel-Ange, c'était aussi un
créateur capable de s'exprimer de multiples façons:en peinture, en poésie, en
musique, par exemple.

CLAUDE AVELINE, qui, tout jeune, eut la chance de se compter parmi les intimes
de l'artiste approchant de la fin de sa vie, n'a pas manqué d'être frappé par la
prodigieuse vitalité qu'il manifestait toujours et qui lui faisait regretter de
n'avoir pas «trois cents années» devant lui pour donner forme à toutes les
puissances de son génie.

C'était à Saint-Cloud, il y a quelques années, dans la belle maison du
docteur Couchoud. M. France1 était son hôte et vivait là tranquille, loin des
importuns, au milieu de vieux livres et de pierres anciennes. Il me permit
de le venir voir, un matin.

Je fus reçu dans la grande salle claire qui surplombe la ville et la
campagne. On devinait à l'horizon Paris, couvert de fumées et de brumes
mêlées. Dehors, les premiers froids d'automne. Ici, une chaleur apaisante et
légère. Sur un socle, un buste de terre, par Bourdelle: M. France, la tête un
peu penchée, les épaules nues, songeur. Il dominait la pièce et paraissait
l'emplir. 11 attirait le regard, le fixait, l'enchantait.

Or, un bruit de savates me fit tourner les yeux. Je vis M. France lui-
même, souriant. Je regardai de nouveau le buste, grave. Mes yeux allèrent
plusieurs fois de cette gravité à ce sourire. Et M. France me dit: «Vous
vous demandez lequel est le vrai?» Aujourd'hui, c'est le France de
Bourdelle qui est le vrai. Le visage de notre maître ne vit plus que par cette
effigie.

* * *

M. France disait (et l'on a reproduit ce jugement): «Bourdelle est le plus
grand artiste de notre temps, le plus grand, le plus haut, le plus fort. Y a-t-il
eu, dans l'histoire des arts, un génie créateur plus fécond et plus puissant?
Je ne lui connais qu'un défaut, qui est de concevoir quelquefois au-delà du
possible. C'est un noble défaut*.»

* * *

«Hélas, m'a dit Bourdelle, pourquoi vieillir si vite? Quand on
commence à apprendre son métier, il faut disparaître. Si quelque magicien
venait me proposer de prolonger ma vie, s'il m'était donné d'exister trois
cents ans, j'accepterais aussitôt. Les souffrances, les tristesses, les
angoisses ne sont rien devant le travail, la joie du travail.' Ce ne serait pas
trop de ces trois cents années pour réaliser toutes les maquettes2 qui
m'entourent. L'homme n'existe seulement que lorsqu'il va s'éteindre.

* * *

Dans ses vêtements de maître-ouvrier, voici Bourdelle, petit, trapu,
immense front dénudé, barbe drue de marin aux reflets bleus, nez puissant,
lèvres charnues, regard aimable, rieur, et tout à coup dur et perçant lorsqu'il
veut observer. Au cours d'un récit, une ride creuse parfois ses traits et leur
donne un aspect tragique. Mais de sa main un peu grasse, aux doigts qui
vont s'effilant, il calmait son visage et lui rendait son harmonie.

Antoine Bourdelle se lève à quatre heures du matin. Il peint, dessine,
écrit, jusqu'à l'heure où les hommes s'éveillent. Il gagne alors ses ateliers,
devient sculpteur jusqu'à la tombée du jour. Il se repose d'un labeur dans un
autre labeur, guide ses élèves et, tout en travaillant, leur prodigue les
trésors tumultueux de sa pensée. Le soir, il reprend sous la lampe les
papiers qu'il avait abandonnés le matin. Les tiroirs sont pleins de
compositions de toutes sortes, de manuscrits, de projets. Non, sans doute,
ce ne serait pas trop de ces trois cents années...

Visages! visages synthétiques des dieux, visages multiples des hommes.
Visage hautain et méprisant d'Ingres, triste du docteur Koeberlé'1, calme
d'Anatole France, massif de Rodin, soucieux de Beethoven, réfléchi de
Rembrandt, pensif de Frazer4 digne et juvénile* d'Edouard5 et Tristan
Cortiière6. Douceur et beauté des visages de femmes.

* * *

«Ce n'est pas du dehors, a déclaré Antoine Bourdelle, qu'il faut modeler
un buste. C'est du dedans. L'architecture osseuse, habitacle de la pensée,
d'abord. Ensuite, le vêtement de chair, éclairé par l'esprit et animé par le
conflit des passions et de la volonté. Encore n'est-ce pas suffisant. Il faut,
en sus, la communion intellectuelle et sensible de l'artiste et de son modèle.
Cela, c'est le mystère de l'art, qui ne souffre pas l'arbitraire.»

CLAUDE AVELINE. Les Muses mêlées (1926).

Примечания:

l. Анатоль Франс, автор "Красной лилии", "Острова пингвинов". "Восстания ан-
гелов" и др. 2. Эскизы скульптур. 3. Знаменитый французский хирург (1828 - 1915).
4. Шотландский фольклорист (1854 - 1941). 5. Эдуард Корбьер (1793 - 1875). просла-
вился как моряк и романист. 6. Тристан Корбьер (1845 - 1875), сын Эдуарда Корбьера,
поэт, принадлежавший к группе т.н. "проклятых поэтов", автор стихотворного сбор-
ника "Желтые любови".

Вопросы:

* On cherchera, dans l'œuvre de Bourdelle, des exemples illustrant ce «noble défaut».
** On examinera la précision de chacune de ces épithètes.

WATTEAU(1684-1721)

IL est le Mozart de la peinture française, et peut-être de la peinture tout court.
Comme l'auteur des Noces de Figaro, il eut une vie maladive et une destinée
trop brève; comme lui, il sut pourtant cacher son mal sous un sourire d'une
grâce presque irréelle; comme lui, il peupla notre univers de créatures
impondérables et l'orna de sa fantaisie ailée; comme lui, il fit de la «fête
galante» le divertissement suprême de l'âme; avec lui, et avec Marivaux peut-
être, il fut l'incarnation la plus pure du plus raffiné de tous les siècles.

%

Watteau, peintre idéal de la Fête jolie,

Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir,

Et tu donnas une âme inconnue au Désir

En l'asseyant aux pieds de la Mélancolie1

Tes bergers fins avaient la canne d'or au doigt;
Tes bergères, non sans quelques façons hautaines,
Promenaient, sous l'ombrage où chantaient les fontaines,
Leurs robes qu'effilait2 derrière un grand pli droit...

Dans l'air bleuâtre et tiède agonisaient les rosés;
Les cœurs s'ouvraient dans l'ombre au jardin apaisé"
Et les lèvres, prenant aux lèvres le baiser,
Fiançaient l'amour triste4 à la douceur des choses.

Les Pèlerins s'en vont au Pays idéal5...

La galère dorée abandonne la rive;

Et l'amante, à la proue, écoute au loin, pensive,

Une flûte mourir, dans le soir de cristal...

Oh! partir avec eux par un soir de mystère,
О maître6, vivre un soir dans ton rêve enchanté!
La mer est rosé... Il souffle une brise d'été,
Et, quand la nef7 aborde au rivage argenté,

La lune doucement se lève sur Cythère*.

ALBERT samain. Le Chariot d'Or (1901)..
Примечания:

1. Уже Верлен отметил в "Галантных праздненствах" (особенно в "Лунном Све-
те") тесную связь наслаждения и печали, которую он считал одной из характерных
особенностей французского XVIII в. 2. Автор несомненно хочет сказать, что большая
прямая складка сзади на платье создает ощущение тонкой талии и придает фигуре
изящество. 3. В саду, успокоившемся в тишине ночи. 4. См.прим. 1. 5. На сей раз на-
мек на знаменитую картину Ватто "Отплытие на остров Киферу", которая называется
также "Отплытие на остров любви" 6. Поэт обращается к Ватто. 7. Корабль (поэт.).

Вопросы:

* On montrera que cette pièce vaut, en particulier, par l'harmonie des vers.
436

MÉLANCOLIE DE DELACROIX

(1799-1863)

on connaît le vers de BAUDELAIRE:

«Delacroix, lac de sang hanté de mauvais anges.»

// ne dit pas seulement l'admiration du poète pour le peintre. Il explique aussi
la raison secrète de cette admiration: la parenté d'âmes entre les deux artistes,
cette «mélancolie»incurable qui rongeait leur cœur à tous deux...

Il me reste, pour compléter cette analyse, à noter une dernière qualité
chez Delacroix, la plus remarquable de toutes, et qui fait de lui le vrai
peintre du xixe siècle: c'est cette mélancolie singulière et opiniâtre qui
s'exhale de toutes ses œuvres, et qui s'exprime et par le choix des sujets, et
par l'expression des figures, et par le geste, et par le style de la couleur.
Delacroix affectionne Dante et Shakespeare, deux autres grands peintres de
la douleur humaine; il les connaît à fond, et il sait les traduire librement.
En contemplant la série de ses tableaux, on dirait qu'on assiste à la
célébration de quelque mystère douloureux: Dante et Virgile, le Massacre
de Scio, le Sardana-pale, le Christ aux Oliviers, le Saint Sébastien, la
Médée, les Naufragés, et l'Hamlet si raillé et si peu compris. Dans
plusieurs on trouve, par je ne sais quel constant hasard, une figure plus
désolée: plus affaissée que les autres, en qui se résument toutes les
douleurs envirohnantes; ainsi la femme agenouillée, à la chevelure
pendante, sur le premier plan des Croisés à Constantinople; la vieille, si
morne et si ridée, dans le Massacre de Scio. Cette mélancolie respire
jusque dans les Femmes d'Alger, son tableau le plus coquet et le plus fleuri.
Ce petit poème d'intérieur, plein de repos et de silence, encombré de riches
étoffes et de brimborions de toilette, exhale je ne sais quel haut parfum de
mauvais lieu qui nous guide assez vile vers les limbes insondés de la
tristesse. En général, il ne peint pas de jolies femmes, au point de vue des
gens du monde toutefois. Presque toutes sont malades, et resplendissent
d'une certaine beauté intérieure. Il n'exprime point la force par la grosseur
des muscles, mais par la tension des nerfs. C'est non seulement la douleur
qu'il sait le mieux exprimer, mais surtout — prodigieux mystère de sa
peinture — la douleur morale! Cette haute et sérieuse mélancolie brille
d'un éclat morne, même dans sa couleur, large, simple, abondante en
masses harmoniques comme celle de tous les grands coloristes, mais
plaintive et profonde comme une mélodie de Weber*.

CHARLES BAUDELAIRE. L'Art romantique: Salon de I84b.

Примечания:

1. Преддверие рая, куда теологи помешают младенцев, умерших до крещения.
2. Обладающая способностью вибрации, которая сливается с основным тоном.

Вопросы:

* Quelles sont, d'après cette page, les oualités de Baudelaire, critique d'art?

DAUMIER(1808-1879)

Au pays de la satire et de l'ironie, de Montesquieu et de Voltaire, dans cette
France où, dit-on, «le ridicule tue», on n'est pas étonné de voir une foule de
peintres et de dessinateurs mettre leur talent au service de la caricature ou de
la charge.
Daumier est, assurément, le plus grand de tous.

Parler de Gavarni et de Forain1 à propos de Daumier, c'est tout
confondre. Gavarni, tout aimable, féru d'élégance, spirituel, est le crayon
même du Boulevard, sous le règne d'Orsay et de Morny2; mais il a' peu de
caractère, ayant peu de force. Forain a du caractère et beaucoup de trait;
mais jusque dans son dessin, on sent quel peintre médiocre il a toujours
été: Forain est homme de lettres autant que personne.

Ni Forain ni Gavarni n'ont rien de ce qui fait la supériorité première de
Daumier: la grandeur et la générosité. Je ne cesse d'observer la racine
commune de la générosité et du génie. Encore Gavarni est-il sans arêtes et
sans fiel; Forain au contraire est méchant à l'excès; le même homme que
Chamfort, avec un cerveau moins solide. Pour plaindre le Apauvre, il faut
qu'il assassine le riche. Il n'aimerait pas Jésus, s'il n'avait d'abord Judas
à haïr. A mes yeux, il les méconnaît ou les méprise ensemble. Il est celui
qui mord toujours. Les neuf dixièmes de ses légendes sont les empreintes
d'une dent cariée. Il paraît né pour la haine, là même où il n'est pas
haineux. L'affreux mot de rosserie3, tout grêlé4 de rancune et musclé de
ruades, a été fait pour lui. Peut-être, ne trouverait-on pas dans l'œuvre
immense de Daumier une seule sortie, un seul hennissement de la rosse''.
- Daumier, comme il est grand, est bon sur toute chose. Nulle sécheresse, en
lui; tout est large, tout est chaud; tout est don*. D'ailleurs, Daumier a l'œil
terrible du sculpteur: il va saisir le fond de l'homme; sa main puissante et
,juple le ramène et l'incorpore à la glaise. Les bustes de Daumier sont

l'horreur du réel est sauvée par la majesté du style. Et l'homme y semble
contraint de se confesser

«Tel qu'en lui-même enfin sa -passion le change .»

ANDRÉ SUARÈS. Marsiho.

.Примечания:

1. Знаменитые французские графики и карикатуристы XIX в. 2. Т.е в период Вто-
рой империи. 3. Остроумное, но язвительное и обидное слово. 4 Букв, щербатое, изъ-
еденное 5 Клячи (но как прилагательное rosse означает "едкий, язвительный").
6. Строка из стихотворения Малларме "Могила Эдгара По".

Вопросы:

* En quoi consiste, selon André Suarès, la générosité de Daumier?

SURUN PORTRAIT DE BERTHE
MORISOT PAR EDOUARDMANET

(1832-1883)

EDOUARD MANET est le premier des très grands artistes modernes. Le
premier en date, au moins, car, dans le refus de l'académisme, certains, après
lui, sont allés plus loin encore. Mais c'est lui qui avait donné le signal: et, à cet
égard, il reste le Maître par excellence.

Je ne mets rien, dans l'œuvre de Manet, au-dessus d'un certain portrait
de Berthe Morisot1, daté de 1872.

Sur le fond neutre et clair d'un rideau gris, cette figure est peinte: un peu
plus petite que nature.

Avant toute chose, le Noir, le noir absolu, le noir d'un chapeau de deuil
et les brides de ce petit chapeau mêlées de mèches de cheveux châtains à
reflets rosés, le noir qui n'appartient qu'à Manet, m'a saisi.

Il s'y rattache un enrubannement large et noir, qui déborde l'oreille
gauche, entoure et engonce le cou; et le noir mantelet qui couvre les
épaules, laisse paraître un peu de claire chair, dans l'échancrure d'un col de
linge blanc.

Ces places éclatantes de noir intense encadrent et proposent un visage
aux trop grands yeux noirs, d'expression distraite et comme lointaine. La

peinture en est fluide, et venue, facile, et obéissante à la souplesse de la
brosse; et les ombres de ce visage sont si transparentes, les lumières si
délicates que je songe à la substance tendre et précieuse de cette tête de
jeune femme par Vermeer, qui est au musée de La Haye.

Mais ici l'exécution semble plus prompte, plus libre, plus immédiate. Le
moderne va vite et veut agir avant la mort de l'impression*.

La toute-puissance de ces noirs, la froideur simple du fond, les clartés
pâles ou rosées de la chair, la bizarre silhouette du chapeau qui fut à la
dernière mode et « jeune »; le désordre des mèches, des brides, du ruban,
qui encombrent les abords du visage; ce visage aux grands yeux, dont la
fixité vague est d'une distraction profonde et offre en quelque sorte, une
présence d'absence — tout ceci se concerte et m'impose une sensation
singulière... de poésie —, mot qu'il faut aussitôt que je m'explique.

Mainte toile admirable ne se rapporte' nécessairement à la poésie. Bien
des maîtres firent des chefs-d'œuvre sans résonance.

Même, il arrive que le poète naisse tard dans un homme qui jusque-là
n'était qu'un grand peintre. Tel Rembrandt, qui, de la perfection atteinte dès
ses premiers ouvrages, s'élève enfin au degré sublime, au point où l'art
même s'oublie, se rend imperceptible, car son objet suprême étant saisi
comme sans intermédiaire, ce ravissement absorbe, dérobe ou consume le
sentiment de la merveille et des moyens. Ainsi se produit-il parfois que
l'enchantement d'une musique fasse oublier l'existence même des sons.

Je puis dire à présent que le portrait dont je parle est poème. Par
l'harmonie étrange des couleurs, par la dissonance de leurs forces, par
l'opposition du détail futile et éphémère d'une coiffure de jadis avec je ne
sais quoi d'assez tragique de l'expression de la figure, Manet fait résonner
son œuvre, compose4 du mystère à la fermeté de son art. Il combine à la
ressemblance physique du modèle, l'accord unique qui convient à une
personne singulière, et fixe fortement le charme distinct et abstrait de
Berthe Morisot**.

PAUL VALÉRY. Pièces sur l'Art (1934)..

Примечания:

1. Берта Моризо (1841 - 1895) — французская художница-импрессионистка 2. Ко-
роткая накидка, которую носили в ту эпоху женщины. 3. Не соотносится, не созвучно.
4. Combine = associe étroiteinent.

Вопросы:

* Par quels procédés l'écrivain rend-il sensible le jeu des clairs-obscurs chez Manet?
** Comparez le texte de Valéry au portrait qui l'a inspiré.

LES NYMPHÉAS1 OU LES SURPRISES
D'UNE AUBE D'ETE

CLAUDE МОНЕТ (1840-1926) avait, dès 1898, commencé la série des fameux
Nymphéas. Or, l'ensemble décoratif qu'on -peut admirer sous ce nom au musée
de l'Orangerie, dans le jardin des Tuileries, le -peintre n'en fit don à l'Etat
qu'en 1923. C'est assez dire que ce thème ne cessa d'occuper (et même
d'obséder) toute la dernière partie de la vie de l'artiste.

Des deux salles où sont exposés les Nymphéas, ANDRÉ MASSON a pu écrire
qu'elles constituaient «la Sixtine de l'Impressionnisme». On ne saurait situer
avec plus de force l'importance du chef-d'œuvre de Monet.

«Il n'y a point de Polype , ni de Caméléon, qui fuisse changer de couleur aussi souvent

que l'eau.»

(jean-albert FABRICIUS, Théologie de l'Eau, trad. /747, P. 98.)

Les nymphéas sont les fleurs de l'été. Elles marquent l'été qui ne trahira
plus. Quand la fleur apparaît sur l'étang, les jardiniers prudents sortent les
orangers de la serre. Et si dès septembre le nénuphar défleurit, c'est le signe
d'un dur et long hiver. Il faut se lever tôt et travailler vite pour faire,
comme Claude Monet, bonne provision de beauté aquatique, pour dire la
courte et ardente histoire des fleurs de la rivière.

Voici donc notre Claude parti de bon matin. Songe-t-il en cheminant
vers l'anse des nymphéas que Mallarmé, le grand Stéphane, a pris, en
symbole de quelque Léda" amoureusement poursuivie, le nénuphar blanc?
Se redit-il la page où le poète prend la belle fleur «comme un noble œuf de
cygne... qui ne se gonfle d'autre chose sinon de la vacance exquise de
soi4»... Oui, déjà tout à la joie d'aller fleurir sa toile, le peintre se demande,
plaisantant avec «le modèle» dans les champs comme en son atelier:

Quel œuf le nénuphar a-t-il fondu la nuit?
Il sourit d'avance de la surprise qui l'attend. Il hâte le pas. Mais:
Déjà la blanche fleur est sur son coquetier.

Et tout l'étang sent la fleur fraîche, la fleur jeune, la fleur rajeunie par la
nuit. Quand le soir vient — Monet l'a vu mille fois — la jeune fleur s'en va
passer la nuit sous l'onde. Ne conte-t-on pas que son pédoncule5 la rappelle,
en se rétractant, jusqu'au fond ténébreux du limon? Ainsi, à chaque aurore,
après le bon sommeil d'une nuit d'été, la fleur du nymphéa, immense
sensitive des eaux, renaît avec la lumière, fleur ainsi toujours jeune, fille
immaculée de l'eau et du soleil.

Tant de jeunesse retrouvée, une si fidèle soumission au rythme du jour
et de la nuit, une telle ponctualité à dire l'instant d'aurore, voilà ce qui fait
du nymphéa la fleur même de l'impressionnisme*. Le nymphéa est un
instant du monde. Il est un matin des yeux. Il est la fleur surprenante d'une
aube d'été (...).

Le monde veut être vu: avant qu'il y eût des yeux pour voir, l'œil de
l'eau, le grand œil des eaux tranquilles regardait les fleurs s'épanouir. Et
c'est dans ce reflet — qui dira le contraire? — que le monde a pris la
première conscience de sa beauté. De même, depuis que Claude Monet
a regardé les nymphéas, -les nymphéas de l'Ile-de-France sont plus beaux,
plus grands**. Ils flottent sur nos rivières avec plus de feuilles, plus
tranquillement, sages comme des images de Lotus-enfants. J'ai lu, je ne sais
plus où, que dans les jardins d'Orient, pour que les fleurs fussent plus
belles, pour qu'elles fleurissent plus vite, plus posément, avec une claire
confiance en leur beauté, on avait assez de soin et d'amour pour mettre
devant une tige vigoureuse portant la promesse d'une jeune fleur deux
lampes et un miroir. Alors la fleur peut se mirer la nuit. Elle a ainsi sans fin
la jouissance de sa splendeur.

Claude Monet aurait compris cette immense charité du beau, cet
encouragement donné par l'homme à tout ce qui tend au beau, lui qui toute
sa vie a su augmenter la beauté de tout ce qui tombait sous son regard. Il
eut à Giverny quand il fut riche — si tard! —, des jardiniers d'eau pour
laver de toute souillure les larges feuilles des nénuphars en fleurs, pour
animer les justes courants qui stimulent les racines, pour ployer un peu
plus la branche du saule pleureur qui agace sous le vent le miroir des eaux.
Bref, dans tous les actes de sa vie, dans tous les efforts de son art,
Claude Monet fut un serviteur et un guide des forces de beauté qui mènent
le monde.

gaston bachelard. Revue Verve. №' 27 et 28.
442

Примечания:

\. Нимфеи или ненюфары — белые водяные лилии. 2. Разновидность моллюсков,
отличающаяся разнообразием форм. 3. Чтобы овладеть Ледой. Зевс превратился
в лебедя. 4. Утонченным сознанием собственной пустоты. 5. Цветоножка, черешок.
6. Небольшая деревня близ Вернона (департамент Эвр), где Моне жил с 1883 г. и до
самой смерти.

Вопросы:

* Essayez, à votre tour, de justifier cette heureuse formule.

** En quel sens un peintre feut-il ajouter à la beauté de la nature?— On songera à
cette définition que la scolastique donnait de l'art: «Homo additus naturae» (L'homme
ajouté à la nature).

GEORGES BRAQUE(né en 1882)

Bien qu'il soit né à Argenteuil, un des lieux qui ont le plus heureusement
inspiré Claude Monet, GEORGES BRAQUE sera l'un de ceux qui romprontde la
façon la plus complète et la plus brutale avec les diaprures et les papillo-
tements de l'impressionnisme. S'il est, en effet, possible de distinguer dans sa
longue carrière des périodes jalonnant l'évolution de son art. Braque demeure,
avant tout, comme l'un des initiateurs du cubisme, c'est-à-dire du retour à la
«règle» et à la composition.

PROPOS DE GEORGES BRAQUE

La seule chose qui compte, qui soit Valable à un moment donné, c'est le
rapport qui s'établit entre l'artiste et la réalité. Le tableau naît du rapport
entre l'artiste et le motif, et il se trouve quelquefois que le tableau
ressemble plus au motif qu'à l'artiste, comme un enfant ressemble plus à sa
mère qu'à son père ou inversement. Pour moi les choses ne prennent leur
valeur que par rapport à moi, que lorsqu'elles se présentent à moi. Une
pierre est sur la route: je l'utilise pour caler une roue de ma voiture; elle
n'existait pas, je lui ai donné la vie en la faisant cale. En la quittant je la
restitue à son néant. Ces rapports varient à l'infini. Ils créent la diversité à
l'infini de la peinture.

* * *

II ne faut pas croire que nous voyons un Raphaël comme le voyaient les
contemporains de Raphaël; les rapports ne sont pas les mêmes*. 11 y a
cependant une certaine permanence des rapports: le commun qui
personnifie l'humain. C'est pourquoi une peinture dé Raphaël nous touche.
L'œuvre d'art est un foyer qui répand une chaleur: chacun en prend ce qu'il
peut en recevoir. Il ne faut pas confondre commun et semblable. Entre
Raphaël et Corot, il y a du commun; mais entre Corot et Trouillebert2, il n'y
a pas de commun, il y a du semblable.

A propos des peintures des premiers Cubistes, on a prononcé lp mot
«abstrait». Il y avait une sorte d'algèbre, parce que les objets étaient
remplacés par des formes abstraites. Maintenant certains jeunes se disent
non figuratifs, mais ce sont les plus figuratifs des peintres. Ils prennent des
figures géométriques, un cercle par exemple, mais en peignant de rouge
l'intérieur de ce cercle, ils en font un disque. La chose la plus abstraite et la
plus figurative en même temps, c'est un profil dessiné d'un seul trait.
Exprimer tous les volumes et obtenir une ressemblance avec un trait, cela
correspond à tous les moyens d'expression et un profil n'est pas un
symbole. La peinture non figurative nous est compréhensible grâce à la
complicité des choses que nous connaissons déjà. Une peinture avec des
plans ronds nous est sensible parce que nous connaissons Cézanne: un
rond, pour nous, c'est une pomme. Certains ne s'aperçoivent pas qu'ils font
de l'Impressionnisme, et que même leur touche n'est que de
l'Impressionnisme masqué. L'Impressionnisme est français**. Un portrait
d'Ingres a un côté atmosphérique que l'on retrouve dans presque tous les
tableaux français. Chez Cranach, rien de semblable: il est expressionniste
(...).

Quand on est jeune, le premier souci qu'on ait, est de se mesurer avec ce
qui est près de soi, sans choix. Quand j'étais à l'Académie3 je n'avais qu'une
idée, c'était de faire aussi bien ou mieux que ceux qui étaient à côté de moi.
Quand l'âge de la réflexion est venu, j'ai commencé à choisir un peu,
à avoir des préférences pour certains artistes. Il y a une évolution; en
travaillant, on a la propre révélation de soi-même; alors il n'y a plus qu'une
ressource, faire de ses défauts ses qualités.

Vous avez le désir de faire un tableau, ce désir se précise et devient une
idée. Mais souvent la toile n'accepte pas votre idée; il y a lutte. Vous
travaillez, vous finissez sans être entièrement satisfait, il y a quelque chose
qui ne va pas. De guerre lasse, vous retournez la toile; deux mois après,
vous la regardez, par hasard, et vous découvrez qu'au fond elle vous plaît,

qu'elle s'est faite toute seule. Il s'est passé simplement ceci: que vous avez
perdu l'idée qui vous obnubilait, que vous vous êtes libéré d'elle et vous
vous trouvez en présence du tableau terminé. L'idée, c'est le ber4 du
tableau, l'échafaudage qui sert à construire et à lancer le navire.

Avec la nature morte, il s'agit d'un espace tactile, et même manuel, que
l'on peut opposer à l'espace du paysage, espace visuel. La nature morte fait
participer le sens tactile dans la conception du tableau. Elle cesse d'être
nature morte dès qu'elle n'est plus à la portée de la main. Dans l'espace
tactile, vous mesurez la distance qui vous sépare de l'objet tandis que dans
l'espace visuel, vous mesurez la distance qui sépare les choses entre elles.
C'est ce qui m'a amené, autrefois, du paysage à la nature morte.

Arrivé à un certain âge, on n'est plus dominé par aucune préoccupation
de démonstration quelconque. Il ne s'agit plus d'acquérir, il s'agit de
s'accomplir***. On est aussi disponible qu'à vingt ans: c'est le moment de '
regarder librement la nature.

J'ai trouvé mes réflexions, après coup, en regardant ce que j'avais fait.

{Ces propos ont été notés au cours de conversations pendant le printemps 1952 )

Revue Verve. №s 27 et 28

Примечания:

1. «J'aime la règle qui corrige l'émotion» (G. Braque). 2. Французский пейзажист,
подражавший стилю Коро. 3. В Академии Художеств. 4. Салазки, с помощью которых
производится спуск корабля на воду.

Вопросы:

* Cherchez des exemples de cette relativité du goût.

** Que signifie cette formule de G. Braque?

*** Montrez que la carrière du peintre justifie magnifiquement cette affirmation.

HECTOR BERLIOZ(1803 1869)

BERLIOZ rappelle Beethovenet, en même temps, annonce Wagner.Beethoven
par sa Symphonie fantastique, et de grands morceaux d'orchestre tels que
Roméo et Juliette ou l'ouverture du Carnaval romain. Wagner par ses opéras:
La Damnation de Faust et Les Troyens à Carthage...

A une époque où la musique française s'enlisait dans l'art le plus
conventionnel, il a su montrer qu'elle pouvait cependant inspirer un génie,
capable d'exprimer toutes les nuances du sentiment humain,depuis les
suavitésde L'Enfance du Christ jusqu'aux tonnerresd'outre-tombe du
Requiem...

UNE TOURNEE DE BERLIOZ EN EUROPE CENTRALE

Depuis le séjour de Bonn1, Berlioz est repris d'une fringale de voyages
et il tente d'organiser en hâte de futurs concerts en Autriche, en Hongrie, en
Bohême. Paris l'ennuie et le dévore. Il s'y use en de petites besognes
exténuantes. Aussi lorsqu'il peut reprendre son vol, vers la fin d'octobre
(1845), a-t-il le sentiment d'une délivrance. Et cette humeur joyeuse se
maintient jusqu'à Vienne, malgré la longueur d'un trajet qu'il faut
accomplir par eau ou sur des chemins de fer encore tout à fait primitifs.

«Oh! monsieur Berlioz, que vous est-il donc arrivé? s'écrie le douanier
autrichien à sa descente du bateau, depuis huit jours nous vous attendions
et nous étions fort inquiets de ne pas vous voir.» Cela ne donne-t-il pas la
mesure de la passion qu'ont les Viennois pour la musique? Est-ce qu'à Paris
un modeste fonctionnaire?.. Allons voilà qui est d'un heureux augure. Et la
série des concerts commence aussitôt dans ces salles illustres: le théâtre de
Kàrntner Thor; la salle du manège Impérial; le théâtre An der Wien, où
chante Jenny Lind; la grande salle des Redoutes où Beethoven, trente ans
auparavant, «faisait entendre ses chefs-d'œuvre adorés maintenant de toute
l'Europe et accueillis alors des Viennois avec le plus monstrueux dédain2».
Enthousiasme de Berlioz, respect, dévotion. Lorsqu'il monte au pupitre
(celui-là même qui servait à Beethoven pour diriger ses Symphonies), ses
jambes se dérobent sous lui. Voici l'emplacement du piano sur lequel
Beethoven improvisait; l'escalier par lequel il descendait de l'estrade, les
chaises du foyer où il demeurait assis au milieu de l'indifférence générale.
К SOus combien de Ponce Pilate ce Christ a-t-il ainsi été crucifié *!»

Et dans cette même salle des Redoutes, Berlioz assiste aux grands bals
de la Saison, regarde tourbillonner les valseurs sous la baguette de Johann
Strauss. Il loue ces rythmes contraires, ces divisions de la mesure et ces
accentuations syncopées de la mélodie dans une forme constamment
régulière et identique. Il fait la connaissance de tous les musiciens viennois
de renom et reçoit d'eux un bâton de mesure en vermeil, portant les noms
d'Artaria, de Bêcher, du prince Czartoriski, de Czerny, de Diabelli, d'Ernst,
de Hasiinger, etc. «Puisse ce bâton de mesure rappeler à votre souvenir la
ville où Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven ont vécu et les amis de l'art

musical qui s'unissent à moi pour crier: vive Berlioz!» Ainsi s'exprime le
baron de Lannoy au nom des donateurs. Et tout cela est dû presque
entièrement «à notre pauvre Fantastique*; la Scène aux Champs et la
Marche au Supplice ont retourné les entrailles autrichiennes; quant au Car-
naval et à la Marche des Pèlerins5, ce sont des morceaux populaires. On
fait maintenant ici jusqu'à des pâtés qui portent mon nom6». Ce qui, au
surplus, n'empêche nullement les critiques des spécialistes. Mais Berlioz
finit par en prendre l'habitude (bien qu'aucun artiste ne s'y résigne jamais
sans une certaine aigreur). Toutefois, si certains le traitent de toqué7, de
maniaque, d'excentrique, d'autres ne disent-ils pas: «Berlioz est une sorte
de levain spirituel qui met en fermentation tous les esprits... Berlioz est un
tremblement de terre musical!» Et cela compense tout le reste.

L'Empereur en personne assiste à l'un de ses concerts et lui fait remettre
un présent accompagné de ce compliment: «Dites à Berlioz que je me suis
bien amusé.» Mais le personnage qu'il voudrait voir surtout est le prince de
Metternich8, ce patron de la politique européenne, le manieur le plus habile
de la grande sèche aux yeux louches et au cœur dur9. Or, pour cela, il s'agit
de mobiliser un officier « lié avec un conseiller, qui parlerait à un membre
de la Chancellerie de la Cour assez puissant pour l'introduire auprès d'un
secrétaire d'ambassade, qui obtiendrait de l'ambassadeur qu'il voulût bien
parler à un ministre» afin qu'il présentât Berlioz. Coupant net à ce circuit et
bravant l'étiquette, le musicien s'achemine vers le palais du prince,
s'explique avec un officier de garde, présente sa carte, est reçu de la façon
la plus affable.

«Ah! c'est donc vous, monsieur, qui composez de la musique pour cinq
cents musiciens?»

Et l'impertinent de répondre:

«Pas toujours, monseigneur; j'en fais quelquefois pour quatre cent
cinquante.»

A Budapest, succès «ébouriffant» grâce à l'adjonction au programme de
la Marche hongroise (Rakoczy-marche). Un amateur viennois lui avait
donné le conseil d'orchestrer ce thème national hongrois, et, à la veille de
son départ pour Pest, Berlioz l'écrivit dans la nuit. Est-ce scrupuleusement
vrai? Peut-être. En tout cas le conseil était bon. Ecrit de verve, et
pressentant le retentissement qu'un tel morceau aurait sur le public
hongrois, si sensible, si ardemment national, il le plaça à la fin du concert.
Bien lui en prit10. Car après une sonnerie de trompettes annonçant le thème
exécuté piano par les flûtes et les clarinettes, l'auditoire fut aussitôt comme
parcouru d'un frissonnement d'attente. Mais quand, sur un long crescendo,

des fragments fugues" du thème reparurent, entrecoupés de notes sourdes
de la grosse caisse simulant des coups de canon lointains, la salle se mit
à fermenter et, au moment où l'orchestre déchaîné dans une mêlée furieuse
lança son fortissimo si longtemps contenu, des cris, des trépignements
ébranlèrent la salle du haut en bas: «La fureur concentrée de toutes ces
âmes bouillonnantes fit explosion avec des accents qui me donnèrent le
frisson de la terreur; il me sembla sentir mes cheveux se hérisser et à partir
de cette fatale mesure je dus dire adieu à la péroraison de mon morceau, la
tempête de l'orchestre étant incapable de lutter contre l'éruption de ce
volcan dont rien ne pouvait arrêter les violences12.» Il fallut le bisser
aussitôt, le trisser même. Puis on se précipita de partout pour embrasser
l'auteur, l'étouffer. Un homme se jeta sur lui en balbutiant: «Ah! monsieur,
monsieur! Moi Hongrois... pauvre diable..., pas parler français... un poco
l'italiano... pardonnez... Ah! ai compris votre canon... Oui, oui la grande
bataille...» (...) Et se frappant la poitrine à grands coups de poing: «Dans le
cœur, moi... je vous porte... Ah! Français... révolutionnaires... savoir faire
la musique des révolutions.»... Lis/t lui-même connut-il dans son pays
natal pareil triomphe**?

GUY DE POURTALÈS. Berlioz et l'Europe romantique (1930).
Примечания:

1. Летом 1845 г. 2. Эти строки принадлежат Берлиозу. 3. Берлиоз упоминает здесь
"Фантастическую симфонию". "Сцена на полях" и "Шествие на казнь" являются наи-
более известными эпизодами из нее. 4. "Римского карнавала". 5. Из "Гарольда в Ита-
лии". 6. См. прим. 2. 7. Чудаком, тронутым (разг.). 8. Австрийский министр иностран-
ных дел, инициатор создания Священного союза 9. Меттерних был создателем кон-
цепции т.н. европейской политики. 10. Результаты этой идеи оказались весьма удачны
для него. 11. Трактованные, как фуга: различные партии на одну тему следуют друг за
другом и чередуются. 12. См. прим. 2.

Вопросы:

* Essayez défaire un rapprochement entre la musique de Berlioz et celle de Beethoven.
** Pourquoi l'auteur de La Damnation de Faust peut-il être regardé comme une grande
figure romantique?

QEORQES BIZET(1838 1875)

quand, en 1875, Georges Bizet fit représenter Carmen à l'Opéra-Comique, les
critiques lui reprochèrent d'avoir cédé à la mode du «wagnérisme». Ceux
d'aujourd'hui risqueraient plutôt d'être offusqués par l'excessive popularité de
l'ouvrage.

C'est pour répondre à ce grief injuste que FRANÇOIS MAURIAC, d'une plume
vibrante, a pris la «défense de Carmen».

DÉFENSE DE CARMEN

Comme il existe une fausse délicatesse, il existe une fauss

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